Libération a épluché les offres de location à Paris et dans les grandes villes en 2001 et en 2011 : bien se loger devient inaccessible aux jeunes et aux familles.
Nous sommes en septembre 2001 : à l’époque, les prix des loyers figurent encore en francs dans les petites annonces, la conversion en euros est indiquée entre parenthèses dans la perspective de l’entrée en vigueur de la monnaie européenne, trois mois plus tard. Pour trouver à se loger, le recours à Internet est encore marginal. Les gens font les agences et épluchent les annonces dans les journaux. Tous les jeudis, ils se jettent sur De particulier à particulier (PAP), spécialisé dans l’immobilier. Dix ans plus tard, cet hebdomadaire nous a ouvert ses portes et ses archives : Libération a ainsi pu confronter les loyers demandés dans les annonces publiées par la revue en septembre 2001 avec ceux des annonces de septembre 2011. Pour cette comparaison, nous nous sommes focalisés sur la capitale et les grandes métropoles régionales où le marché locatif est redoutable. Constat général : une envolée des loyers. Et pour l’Ile-de-France, une augmentation bien supérieure à la hausse des revenus et des prix à la consommation.
L’escalade des loyers
Jamais les loyers parisiens et franciliens n’ont été aussi chers. Pendant la décennie 2001-2011, les propriétaires se sont lâchés. A chaque changement d’occupant, ils ont poussé leurs tarifs à la hausse : à la relocation, la liberté des prix est en effet totale. Dans un marché de pénurie, marqué par un fort déséquilibre entre l’offre et la demande, on a assisté à une véritable escalade. Entre 2001 et 2011, les loyers ont augmenté de 50% à Paris, de 43% en petite couronne et de 42% en grande couronne, selon l’Olap (Observatoire des loyers de l’agglomération parisienne). Pendant la même période, la hausse des prix à la consommation a été de 18,7% et le revenu disponible des ménages par unité de consommation a augmenté de 31%, selon l’Insee. Les loyers ont donc progressé beaucoup plus vite que le reste.
Les propriétaires sont devenus des bailleurs décomplexés. Ainsi dans PAP, voit-on désormais des annonces de deux pièces à plus 1 400 euros ! «Les gens vont finir par descendre dans la rue, parce que certains abus deviennent intolérables», pronostique un cadre travaillant dans une Adil (Agence départementale d’information sur le logement) de la région parisienne. Dans ses permanences, il voit passer des locataires qui consacrent «plus de la moitié de leurs revenus» au loyer. Parfois pour «des logements à la limite de l’insalubrité», raconte-t-il (lire aussi page 4). La hausse vertigineuse touche tous les segments du marché et en particulier les studios et les appartements de 3 pièces et plus, très recherchés par les familles avec enfants.
Face à ces dérives, les pouvoirs publics sont restés totalement inertes, laissant les gens seuls. Unique bémol : le gouvernement a décidé de taxer les marchands de sommeil qui louent à plus de 40 euros du m2, des chambres d’une surface inférieure ou égale à 13 m2, et souvent sans confort.
un Smic ne suffit plus
Les numéros de septembre 2011 de De particulier à particulier regorgent donc d’annonces aux loyers démesurés : 1 200 euros pour un studio de 37 m2 dans le quartier d’Alésia (XIVe arrondissement de Paris), 1 080 euros pour un autre de 27 m2 à Etienne-Marcel (IIe), 900 euros pour une studette de 20 m2, dans le quartier très populaire Marx-Dormoy (XVIIIe). Dans le numéro du 29 septembre, près de la moitié (63) des 143 studios proposés à la location affichent des loyers supérieurs à 800 euros, dont 20 à plus de 1 000 euros ! Les locations à moins de 600 euros, considérées comme relativement abordables au regard du contexte parisien deviennent rares : 26 annonces sur 143. Ce qui fait moins de 20% de l’offre. Il y a dix ans, le marché offrait un tout autre visage : 80% des annonces publiées le 27 septembre 2001 (236 sur 282) concernaient des studios à moins de 600 euros. Bien sûr les tarifs de l’époque doivent être ajustés de l’inflation. Mais la différence est énorme, y compris en euros constants. Elle est bel et bien conforme à la hausse moyenne de 50% des loyers de marchés observée à Paris pendant la dernière décennie par l’Olap.
Dans les autres grandes villes, le grand écart entre 2001 et 2011 est moindre, mais l’augmentation est largement supérieure à la hausse des prix. Notamment dans des villes comme Nice, Aix-en-Provence, Lille ou Toulouse. En 2001, on trouvait encore des studios à moins de 300 euros dans ces villes, voire même à moins de 250 euros à Marseille. Aujourd’hui, ils dépassent quasi systématiquement les 400 euros. Mais les prix peuvent aller au-delà de 500, 600 ou 700 euros, notamment à Nice ou Aix-en-Provence.
Les familles pressurées
En cette rentrée 2011, un tiers des trois pièces parisiens (36 sur 109) proposés à la location dans PAP affichent des tarifs supérieurs à 1 800 euros, dont 25 à plus 2 000 euros. En général, ces loyers coup de fusil pour appartement sejour-deux chambres ont cours dans les beaux quartiers : Passy, la Muette ou le Marais… Mais ce constat commence aussi à déborder sur des arrondissements bien plus ordinaires. Exemple : «Métro Michel Bizot [XIIe arrondissement, ndlr], 3 pièces 81 m2, grand séjour, deux chambres, bureau […], cave, parking : 2 200 euros plus 300 euros de provisions pour charges.» Total : 2 500 euros pour loger une petite famille. Autre annonce du même acabit : «Métro Voltaire, très beau 3 pièces 67 m2 […], double séjour, cuisine aménagée, 2 chambres […], 1 900 euros par mois charges comprises.» L’essentiel de l’offre de 3 pièces se situe dans une fourchette de loyers qui va de 1 400 à 1 800 euros.
La comparaison avec les loyers de septembre 2001 est saisissante. On trouvait alors encore de nombreux 3 pièces à 1 000 euros. Comme ce 65 m2 à Tolbiac (XIIIe) à 990 euros, ou cet appartement de «72 m2 refait à neuf […], bien distribué, calme» à Alésia pour «1 000 euros provisions de charges comprises». Dans la fourchette de 1 000 à 1 200, les offres étaient vraiment nombreuses. Une famille avec des revenus mensuels de l’ordre de 3 000 à 3 600 euros pouvait alors se loger à Paris. Aujourd’hui, il faut plutôt aligner des revenus de 4 500 à 6 000 euros. Dans les grandes villes, le marché locatif opère ainsi impitoyablement son tri social, au détriment des ménages modestes et moyens. A la rubrique, «location demande» de De particulier à particulier en date du 29 septembre dernier on pouvait lire cette annonce : «Jeune couple salarié-médecin (interne) avec bébé cherche 50 m2 à Paris 15e, un trois pièces 2 chambres […]. [Loyer] 1 450 euros charges comprises.»
La dérive des locations meublées
Si la tendance actuelle devait se poursuivre, les Parisiens n’auront bientôt plus besoin d’avoir des meubles. La flambée des tarifs locatifs est allée de pair avec un développement débridé de la location meublée, qui permet aux bailleurs de louer encore plus cher tout en s’affranchissant de la loi de 1989 régissant les rapports locatifs. Autrefois marginal, ce type de marché tend à se répandre de manière inquiétante. Dans le numéro de De particulier à particulier daté du 15 septembre 2011, pas moins de 45 annonces sur 118 relatives aux deux pièces concernent des locations meublées, soit 40% de l’offre. Et cette dérive touche à présent la banlieue parisienne comme les grandes villes, spécialement Nice, mais aussi Marseille ou Lyon. Il faut dire que le bailleur y trouve largement son compte : loyer majoré au prétexte que c’est meublé, régime fiscal favorable pour le propriétaire, et absence de contraintes légales - pas de bail de trois ans et facilités pour augmenter le loyer ou pour évincer le locataire. Là encore, le gouvernement est resté totalement inerte face à ces dérives.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire