Dès que j'ai entendu formuler les mots annonçant que Pierre Mauroy nous
quittait, des larmes irrépressibles me sont venues aux yeux.
Je contrôle mieux d'ordinaire ma sensibilité, sauf s'il s'agit du départ
d'hommes et de femmes qui ont fait partie de mon univers, de ceux avec lesquels
la familiarité est indispensable. Pierre Mauroy était de ceux-là, bien entendu.
Mais ce n'était pas toujours bien compris car cet homme au visage à la fois
bienveillant et ferme, indulgent et rigoureux, prêt à comprendre mais qui ne
s'interdisait pas de juger, inspirait par-dessus tout un sentiment que les
militants les plus engagés réclament, celui de la sécurité.
J'ai cité ici les sentiments des militants, mais il inscrivait la foi
chrétienne de sa femme dans ses combats laïcs. Il était l'homme de l'apaisement,
disait-on volontiers, mais cela traduisait davantage le pouvoir de calmer les
esprits échauffés plutôt que de trouver des solutions de compromis.
Assez de convictions pour fuir le scepticisme
Pierre Mauroy, sans rallier jamais des positions extrêmes, mais toujours
éloigné des prudences centristes, incarnait un socialisme du "faire" et du
"possible" selon les mots de Blum et de Mendès-France, mais il savait dénoncer
sans faiblesse les socialistes de la compromission.
Jeune, nous l'avons entendu dénoncer les méthodes de Guy Mollet au temps de
la guerre d'Algérie. Et nous l'avons vu ensuite redouter le contenu des
reproches faits depuis toujours par les communistes à leurs "camarades
socialistes". Il avait assez d'humour pour s'éloigner du sectarisme, mais il
avait assez de convictions pour fuir le scepticisme.
Pierre Mauroy ne savait pas combien nous l'aimions. En revanche, il croyait
savoir combien de petits bourgeois universitaires et d'intellectuels le tenaient
à distance.
Lorsque François Mitterrand l'a pris près de lui comme Premier ministre, tout
le monde ou presque lui a alors découvert les capacités de tenir tête à des
collaborateurs aussi spécialisés que Fabius ou Delors. Pierre Mauroy n'était
certainement pas un grand intellectuel. Il n'était sans doute pas un grand
commis. Des hommes comme Pierre Mauroy sont dans l'incapacité de révéler leurs
compétences insoupçonnées tant qu'ils n'accèdent pas au pouvoir et n'assument
pas de responsabilités.
Adieu Pierre Mauroy, nous en avons la preuve parmi nos
abonnés, nous vous aimions beaucoup.
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