dimanche 9 juin 2013

"Notre" Pierre Mauroy, par Jean Daniel

Pierre Mauroy, le 11 avril 2009. (BAZIZ CHIBANE/SIPA)

Dès que j'ai entendu formuler les mots annonçant que Pierre Mauroy nous quittait, des larmes irrépressibles me sont venues aux yeux.
Je contrôle mieux d'ordinaire ma sensibilité, sauf s'il s'agit du départ d'hommes et de femmes qui ont fait partie de mon univers, de ceux avec lesquels la familiarité est indispensable. Pierre Mauroy était de ceux-là, bien entendu. Mais ce n'était pas toujours bien compris car cet homme au visage à la fois bienveillant et ferme, indulgent et rigoureux, prêt à comprendre mais qui ne s'interdisait pas de juger, inspirait par-dessus tout un sentiment que les militants les plus engagés réclament, celui de la sécurité.
J'ai cité ici les sentiments des militants, mais il inscrivait la foi chrétienne de sa femme dans ses combats laïcs. Il était l'homme de l'apaisement, disait-on volontiers, mais cela traduisait davantage le pouvoir de calmer les esprits échauffés plutôt que de trouver des solutions de compromis.

Assez de convictions pour fuir le scepticisme

Pierre Mauroy, sans rallier jamais des positions extrêmes, mais toujours éloigné des prudences centristes, incarnait un socialisme du "faire" et du "possible" selon les mots de Blum et de Mendès-France, mais il savait dénoncer sans faiblesse les socialistes de la compromission.
Jeune, nous l'avons entendu dénoncer les méthodes de Guy Mollet au temps de la guerre d'Algérie. Et nous l'avons vu ensuite redouter le contenu des reproches faits depuis toujours par les communistes à leurs "camarades socialistes". Il avait assez d'humour pour s'éloigner du sectarisme, mais il avait assez de convictions pour fuir le scepticisme.
Pierre Mauroy ne savait pas combien nous l'aimions. En revanche, il croyait savoir combien de petits bourgeois universitaires et d'intellectuels le tenaient à distance.
Lorsque François Mitterrand l'a pris près de lui comme Premier ministre, tout le monde ou presque lui a alors découvert les capacités de tenir tête à des collaborateurs aussi spécialisés que Fabius ou Delors. Pierre Mauroy n'était certainement pas un grand intellectuel. Il n'était sans doute pas un grand commis. Des hommes comme Pierre Mauroy sont dans l'incapacité de révéler leurs compétences insoupçonnées tant qu'ils n'accèdent pas au pouvoir et n'assument pas de responsabilités. 
Adieu Pierre Mauroy, nous en avons la preuve parmi nos abonnés, nous vous aimions beaucoup.
Jean Daniel

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