Cérémonie d'hommage national à Pierre MAUROY
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Mesdames, Messieurs,
Madame, chère Gilberte MAUROY,
Peu d’hommes, même éminents, peuvent s’enorgueillir d’avoir fait l’histoire
de leur pays. Pierre MAUROY est incontestablement de ceux-là. Non par la durée
de son gouvernement – un peu plus de trois ans – mais par les circonstances dans
lesquelles il eut à agir et par les choix qu’il eut à faire.
Pierre MAUROY fut en effet le « premier Premier ministre » de
l’alternance sous la Vème République après l’élection de François MITTERRAND, le
10 mai 1981. Il forma, en juin 1981, un Gouvernement de l’Union de la Gauche.
C’était une formule inédite depuis 1947.
A la tête du pays, il engagea de grandes réformes qui demeurent, encore
aujourd’hui, comme autant d’acquis, de la décentralisation à l’abolition de la
peine de mort, de la 5ème semaine de congés payés à l’instauration de
l’impôt sur les grandes fortunes. Il accorda le droit de partir à la retraite à
60 ans à ceux qui n’avaient plus le temps d’attendre, tant la vie les avait
usés.
Ce destin exceptionnel, rien ne le disposait à l’accomplir mais tout le
conduisait à en rêver.
Pierre MAUROY était un enfant du peuple. Aîné de sept enfants, il avait
grandi dans un village de mineurs. Le centre de sa vie, c’était l’école de la
commune, l’école de la République où son père était instituteur. Pour lui, aimer
le peuple, ce n’était pas le flatter et encore moins l'abuser. Aimer le peuple,
c'était le respecter. C'était le servir.
Il s’y était préparé à sa façon.
Sa formation, ce fut l’Ecole Nationale d’Apprentissage, « son ENA à
lui ». Son apprentissage, ce fut le syndicalisme, pour défendre les
engagements des professeurs du technique. Sa culture, ce fut le socialisme. Il
en avait embrassé très tôt la cause.
Le socialisme, il en épousera tous les rôles. Jeune cadre de la SFIO, il
fonda avec François MITTERRAND le Parti d’Epinay en 1971. Il fut le Premier
secrétaire en 1988, puis – consécration suprême à ses yeux – il succéda à Willy
BRANDT en 1992, à la présidence de l’Internationale Socialiste. Jusqu’à la fin
de la vie, jusqu’à son dernier souffle, il anima la fondation Jean JAURES, pour
bien marquer la continuité de son engagement.
Sa terre, c’était le Nord, c’était Lille.
Devenu maire en 1973, il modernisa sa ville, la transforma, la tourna vers
l’Europe. Lille dont il fit, avec la Communauté urbaine, une grande métropole
économique et culturelle. Lille, c’était sa fierté, son refuge, sa ressource.
Lille, c’était sa capitale. La capitale des Flandres. La capitale de son
cœur.
Mais si nous sommes rassemblés aujourd’hui, ici dans ce lieu, ce n’est pas
simplement parce que Pierre MAUROY fut un enfant du peuple, un socialiste, un
élu local d’une dimension exceptionnelle. Non ! Si nous sommes réunis, c’est
parce que Pierre MAUROY est entré dans l’histoire. Pour avoir été l’artisan de
grandes conquêtes sociales et de libertés nouvelles. Sûrement. Rien que pour
cela, il a sa place.
Mais il a surtout fait des choix, des choix essentiels dont nous sommes les
uns et les autres – quelle que soit notre place dans la vie politique – les
héritiers.
Le choix du réformisme, d’abord. Pour Pierre MAUROY, réformer ce n’était pas
renoncer. C’était réussir. Réformer, c’était se défaire de l’illusion des mots
pour passer à la vérité des actes. Réformer, ce n’était pas céder à la réalité,
c’était la saisir à la gorge pour la transformer. Pour Pierre MAUROY, réformer
c’était inscrire la gauche dans la durée.
Et pour y parvenir, il lui fallut faire face. Faire face aux espoirs et aux
attentes sans limites, après vingt-trois ans dans l’attente de l’alternance.
Faire face aussi aux difficultés, aux défis du monde, d’un monde nouveau qui
commençait à émerger. Faire face aux impatiences et aux colères.
Il lui fallut assumer. Et Pierre MAUROY assuma le sérieux budgétaire, le
blocage des prix et des salaires, les restructurations industrielles. Des
décisions qui lui coûtèrent, surtout quand lui, l’homme du Nord-Pas-de-Calais,
il lui fallut fermer le dernier puits de mines, lui qui entreprit de moderniser
les laminoirs de Lorraine. Oui, cela lui coûtait, mais il sut prendre ces
décisions parce qu’il les savait non pas inévitables, mais nécessaires pour
reconvertir, redresser et repartir.
Il avait surtout compris que le destin de la France passait par l'Europe. Que
faire "cavalier seul" pouvait finir en une cavalcade sans lendemain.
Qu'il fallait donc faire la France en construisant l'Europe.
Tout était lié. Par facilité ou commodité de langage, on désigna cette
orientation d’un même mot : « la rigueur ». Et le même homme, Pierre
MAUROY, qui avait été choisi par François MITTERRAND pour incarner la volonté de
changement, conçut, engagea, appliqua cette politique. Il n’y voyait pas de
contradiction. Il n’y en avait d’ailleurs pas. La rigueur, c’était la condition
pour poursuivre la réforme, le changement.
Le rôle historique de Pierre MAUROY se révéla dans ces semaines décisives du
printemps 1983, lorsque se jouèrent le sort de la France et l'avenir de
l'Europe. Il sut convaincre François MITTERRAND, avec le concours de Jacques
DELORS, pour rester dans le système monétaire européen et, ainsi, préparer la
création de l’euro.
La vie de Pierre MAUROY est une belle leçon politique pour l’ensemble des
Français. Elle nous montre que l'on peut avoir le sens des responsabilités et
conserver son idéal. Que l'on peut servir l'intérêt supérieur de l’Etat et
garder ses valeurs. Que l’on peut concilier la justice sociale et l’ambition
économique. Que l'on peut porter la modernité et préserver son authenticité. Que
l'on peut défendre les classes populaires et travailler pour tous les Français.
Que l'on peut être fidèle à sa tradition et préparer l’avenir. Que l’on peut
faire de grandes réformes et faire preuve de réalisme. Que l'on peut se révéler
homme d'Etat et demeurer homme du peuple. Que l'on peut être patriote et
Européen. Que l’on peut exercer les plus hautes fonctions et rester un
« militant ».
Pierre MAUROY avait cette formule citant KIPLING. Il disait : « Dans ce
monde, il y a ceux qui restent chez eux et puis il y a les militants ». Il
se méfiait des idéologies, mais il croyait aux idées, à celles qui entraînent, à
celles qui mobilisent, à celles qui élèvent. Et notamment à l’éducation
populaire qui le conduisit à créer, jeune homme, une institution qui demeure
aujourd’hui : la Fondation Léo LAGRANGE.
Pierre MAUROY, c’était une stature imposante, une voix chaude avec des
phrases longues, des intonations tumultueuses. Pierre MAUROY, c’était un visage
bienveillant, solide, ferme. Mais Pierre MAUROY, c’était aussi un homme d’une
grande finesse.
Finesse d’esprit, avec une intelligence des gens et des situations. Il voyait
tout et parfois ne disait rien ou il le gardait pour lui et le confiait plus
tard. Sans acrimonie, car Pierre MAUROY n’avait pas besoin d’être méchant pour
être craint. Finesse politique pour parvenir habilement – quelques fois dans des
circonstances laborieuses – à ses fins.
Oui, Pierre MAUROY avait de l’élégance, de la subtilité. Ses mains, longues,
interminables, blanches qui, telles deux oiseaux, accompagnaient ses discours,
étaient par elles-mêmes aussi le reflet de sa personnalité. Sa force et sa
finesse : c’est cet alliage qui lui donnait la « sérénité du couvreur sur le
toit » pour reprendre une belle formule de Léon BLUM pour qualifier les
bâtisseurs.
Pierre MAUROY aimait les gens et les gens l’aimaient. Il avait cette qualité
rare de prendre du temps, y compris avec les humbles. Il savait raconter les
histoires, émouvoir par les mots, donner ses impressions. Il avait le sens de la
camaraderie comme d’autres ont le sens de la chevalerie. Il n’était pas
familier, mais il était chaleureux.
Mesdames, Messieurs,
Madame,
Rendre hommage à Pierre MAUROY, c’est faire l’éloge du courage en politique,
de la constance et de la fidélité. Fidélité à ses origines, fidélité aux
ouvriers, fidélité à son parti, fidélité à ses amis, à ses idées, à sa ville, à
son pays, fidélité à l’Europe. Oui, fidélité à ce qui fait le sens d’une vie,
l’accomplissement d’un destin, la contribution à l’Histoire.
En ce moment où tout s’achève, je repense à l’ultime ligne du dernier livre
que Pierre MAUROY publia. Il écrivait : « Les hommes passent avec le reste.
Mais les justes causes, elles, ne meurent jamais ».
Mesdames, Messieurs,
C’est en servant ces causes, c’est en les servant bien que nous serons, à
notre tour, fidèles à Pierre MAUROY, à la République et à la France.
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