A Commentry, dans l'Allier, des salariés se battent pour changer le système de production de la vitamine A. Depuis 2003, 56 cas cancers, dont 11 mortels ont été signalés dans l'usine qui emploie 400 personnes. Malgré une condamnation en 2007, rien ou presque n'a évolué au nom de la rentabilité.
Publié dans la Nouvelle Vie Ouvrière 3440 du 20 mai 2011
Comme deux aimants qui se collent l'un à l'autre.Les deux cellules, s'agglomèrent. Les noyaux se mêlent. Il en résulte une perte d'électron des deux atomes. Ensuite, la chimie fait son travail et dégénère progressivement le chromosome. L'agent promoteur issu des produits chimiques empêche le système immunitaire d'exercer son pouvoir de sauvegarde et la cellule cancéreuse apparaît. Très schématiquement et vulgarisé à souhait, c'est en tout cas ce que subissent plus de 10% des salariés de l'usine Adisseo de Commentry (Allier) qui produit entres autres choses, la vitamine A nécessaire à l'élevage intensif.
Décès et condamnation, mais rien ne change
Depuis 2003, parmi les 400 salariés, 56 cas de cancers ont été révélés par la médecine et enregistrés par l'association des malades de la chimie et la CGT. Pour 9 salariés atteints de cancers du rein, la justice a fait son travail et condamné l'entreprise pour faute inexcusable en 2007. Les autres cas et notamment 18 cancers de la prostate, ne sont pas pris en compte, parce qu'il ne sont pas reconnus comme maladie professionnelle. De la décision de justice rendue en 2007, qu'en ressort-il ?
L'entreprise n'a rien à verser aux malades, puisque c'est la sécurité sociale qui s'en charge. La faute inexcusable fait doubler la rente, mais elle est toujours payée par la collectivité selon les syndicalistes. Les conditions de travail se sont progressivement améliorées, c'est un fait, mais uniquement grâce à l'action du CHSCT (commission d'hygiène de sécurité et de condition de travail) et de ses élus CGT qui ont utilisé le jugement pour alerter l'inspection du travail ; « Lorsque la jeune inspectrice est arrivée sur les lieux, elle a prit peur et ordonnée la destruction d'un bâtiment » se souvient Jean-Luc Cagnot secrétaire adjoint du CHSCT.
Il y a eu onze décès à cause du cancer dans cette usine. La faute à une molécule de synthèse appelée C5 qui rentre dans la composition de la vitamine A. Les concurrents d'Adisseo, BASF et Hoffmann Laroche n'ont pas recours à cette méthode et n'ont pas non plus de cancer. Le Choix d'Adisseo n'a qu'un but. Augmenter la productivité et donc la rentabilité en utilisant une molécule extrêmement réactive et dangereuse. Malgré 11 décès, une condamnation pour faute inexcusables sur 9 cas, 22 cancers du rein officiellement reconnus, 18 cancers de la prostate - sur des salariés en activité ou fraîchement retraité donc jeunes -, 6 cancers du colon auxquels il faut ajouter, à cause de l'amiante les 10 cancers du poumon et 22 cas de plaques pleurales, Adisseo continue son système d'exploitation.
Les alertes du "Doc"
Dans l'Usine passée dans le giron de Rhône Poulenc, puis d'Aventis avant de devenir Adisseo, un médecin du travail n'a cessé durant 22 ans d'alerter les directions successives sur la très haute dangerosité de la molécule C5. « Nous avions même édité avec la direction de Rhône Poulenc une plaquette d'information à distribuer aux salariés pour qu'ils se protègent » explique le médecin Gérard Barrat. Qu'en reste-il aujourd'hui ? Rien. Pas une trace à part un ou deux exemplaires que le CHSCT a conservé précieusement pour mieux argumenter face à la direction d'aujourd'hui. « C'est simple, la direction actuelle, se retranche derrière les améliorations de conditions de travail pour expliquer que les histoires avec le C5 appartiennent au passé » note Jérôme Cornet secrétaire du CHSCT. « C'est pire, parce que les salariés croient ce qu'on leur raconte et se protège moins » ajoute t'il.
Depuis 1998, un sas de décontamination dans le bâtiment du C5 est revendiqué par la CGT. C'est le 9 mai dernier qu'une décision a été prise selon le syndicat. La question de fond réside pourtant dans une autre pratique industrielle. Pour cela il faudrait que la molécule soit référencée sur la norme européenne Reach et interdite. C'est ce qu'attendent le syndicat et l'association des malades de la chimie ; « dans cette affaire, il faut pointer la responsabilité des pouvoir publics. Tout le monde sait pour les cancers chez Adisseo. Mais personne ne bronche » dénonce Christian Micaud le président de l'association. Celle-ci, créée en 2003 a sorti l'affaire à l'extérieur de l'usine, ce que précisément la direction du groupe Adisseo veut éviter. Pour cela elle compare le nombre de cancers du rein de son usine avec celui observé dans la population. Un déni pure et simple de la dangerosité dans le travail. Quand aux pressions sur les membres de l'association qui furent salariés et militants CGT avant d'être retraités, elles sont multiples. Elles vont de simples coups de téléphone de la Gendarmerie à la convocation par les renseignements généraux. « Face à la désinvolture des membres d'une direction devant 11 décès, qui sont engendrés par des soucis de rentabilité, moi je dis que ces gens-là sont des ennemis. Nous assistons à une domination, une humiliation des salariés en les exploitant toujours plus par l'intensification du travail » dénonce le médecin Gérard Barrat.
Les réductions successives des effectifs créent un stress au travail. Les procédures de protection des salariés ne collent pas avec les obligations de temps de travail. « Aujourd'hui, les choses changent progressivement. L'usine est propre, mais nous ne connaissons pas les limites de confinement et inconsciemment les salariés se protègent moins » se désole Jean-Luc Cagnot.
Mortelle molécule
La contamination par le C5 se fait principalement de deux façons : par les voies aériennes notamment lorsque les éléments de fabrication sont chauds, et par simple contact de la peau. Comme la poussière est volatile, les rampes d'escaliers ou les outils peuvent porter des résidus. Les salariés concernés sont agents de maintenance ou de production, salariés du nettoyage qui utilisent des instruments à haute pression ou encore ouvriers affectés au traitement des résidus. Même au bureau d'étude ou au laboratoire qui manipulent d'infimes quantités le danger est réel tellement cette molécule est réactive. « Il faudrait travailler dans un espace totalement confiné, et considéré le C5 au même titre que les particules radioactives de l'industrie nucléaire » estime Gérard Barrat.
Comme il existe d'autres procédés de fabrication de la vitamine A, le plus simple serait encore de renoncer à l'utilisation du C5 et aux profits faramineux que cela génère. Au lieu de cela, la direction du groupe achète ses salariés en redistribuant de l'intéressement. « J'ai touché en prime en 2008, 7000 €. 14 800 € en 2009 et 14 100 € en 2010 et nous sommes 400 salariés. Faites le compte ! » Témoigne Jean-Luc. « Cet argent serait bien mieux utilisé à sécuriser le travail » ajoute Jérôme. Et dire que la direction d'Adisseo a tenté de faire passer les militants CGT pour des affameurs en les accusant de vouloir fermer l'usine. Le pire c'est que le syndicat FO a aussi joué ce jeu-là. Les onze familles qui ont perdu l'un des leurs et les prochaines qui risquent de pleurer ces prochaines années, seront là pour rappeler qu'au nom de l'emploi et de la productivité, il ne faut pas jouer aux apprentis sorciers.
La sécurité au travail
« La participation de nos syndicats a été exemplaire ». C'est ainsi que la fédération CGT des industries chimique juge le résultat des deux journées d'études consacrées aux risques industriels et à la sous-traitance, les 30 et 31 mars dernier. Les maux sont là. Dans le titre de ce colloque. Sous-traitance et risques industriels sont étroitement liés. Les témoignages, le temps de ces deux jours de débats, l'ont démontré de la plus belle des façons. Alors que nous étions dans l'actualité des évènements japonais, comment ne pas faire le lien avec la réalité industrielle française ? Grâce à l'expertise, de chercheurs, de l'Inserm, de l'INRS du cabinet Cidecos et des militants de la CGT. Les thèmes majeurs de ces débats : les choix de l'organisation du travail et l'exposition aux risques ; l'évolution industrielle et la prise en compte des risques ; la santé au travail et les accidents ou les maladies professionnelles ; ou encore, la prévention, le rôle des pouvoirs publics et surtout l'importance de la communauté de travail. De ces deux journées il en ressort toute de même un constat inquiétant, à savoir que les choix politiques sont déterminés par des choix économiques, qui mettent en péril la vie des salariés au travail. De ces témoignages, la NVO en a tiré cette enquête. Preuve en est que l'expérience et le relais syndical sont d'indispensables contre-pouvoirs.