lundi 2 novembre 2009

Un hommage à nos maîtres d'école, artisans de la République

La Lettre de Guy Môquet, pour quoi faire ?

par Léon-Marc Levy, Proviseur

L'Ecole de la République, bon an mal an, malgré tous ses défauts régulièrement mis en joue et souvent à juste titre, ses lourdeurs pachydermiques, ses dysfonctionnements endémiques, reste un joyau. Il y a cent raisons à cela, toutes liées à des réussites éclatantes. Mais ici, je ne veux en évoquer qu'une : la plus belle réussite de l'Ecole républicaine, c'est la République elle-même ! C'est par l'école, ses maîtres, ses professeurs, tous ses serviteurs, de l'agent de service aux ministres, que, depuis, plus de deux siècles, la République s'est installée lentement comme une évidence dans l'esprit des Français. A se retourner un instant, on s'aperçoit que cette "évidence" républicaine n'était pas gagnée d'avance ! Mieux encore, elle n'est pas encore gagnée, ne le sera en fait jamais : le combat pour les Lumières est permanent, jamais clos.

Qui sont les maîtres joaillers ? Les artisans essentiels de cette leçon réussie, exemplaire ? Le "vieux" proviseur que je suis a pu le voir, de longues années, dans les jours gris et les jours bleus d'un lycée : les enseignants bien sûr ! Des "instituteurs" républicains, à nos professeurs modernes, des écoles aux universités. Ils n'ont jamais attendu des ordres venus d'en haut pour dire aux jeunes français la grandeur de la Liberté, de l'Egalité, de la Fraternité. Nul ne les a contraints à ériger le modèle démocratique comme référence. Et pourtant, pour l'écrasante majorité d'entre eux, ils l'ont fait ! Nul ne leur a dit de prôner les vertus de solidarité, de tolérance, d'ouverture à l'autre. Et pourtant, ils l'ont fait ! Nul ne leur a imposé la manière et les outils pour diffuser et partager l'amour du savoir scientifique, des grands textes et des grands écrivains et philosophes, de la beauté graphique et musicale, et pourtant ils y ont largement réussi !

Non, dites-vous ? Jamais les discordes sociales n'ont été plus grandes, jamais les haines n'ont été si violentes, jamais l'individualisme n'a été aussi échevelé ? Oui. C'est difficilement contestable. Il faut donc en conclure que l'Ecole a échoué ? NON ! On ne peut pas mettre sur le dos de l'Ecole toutes les misères d'une société. Non seulement l'école n'est pas la cause du relâchement du tissu social, de la perte des valeurs morales, de l'affaiblissement des élans collectifs au profit des intérêts individuels, mais elle reste le seul frein à ce glissement terrible de notre Cité vers un monde "ensauvagé" ; à la fois par les valeurs qu'elle continue à perpétuer mais aussi par son aptitude à transmettre les savoirs et à ouvrir les voies du devenir professionnel et social des jeunes français. Cahin-caha assurément ! Avec des « bugs » agaçants, injustes, persistants, auxquels il faudra impérativement apporter remède au risque d'y perdre l'âme de la République. Mais quand même, l'école accomplit encore ses trois missions centrales : éduquer, enseigner, insérer.

La "recette" du miracle ? La liberté opérationnelle des professeurs, leur capacité d'innovation, l'originalité des voies empruntées par chacun, leur ancrage fondamental dans l'humanisme. Quel élève ne se souvient pas de celui, ou de celle, qui ne "faisait pas comme les autres" et qui nous a marqués, parfois profondément, nous a fait découvrir un "autrement" du savoir et, au-delà, de notre perception du monde ?

On veut imposer la lecture d'un texte, la lettre de Guy Môquet, à tous les professeurs de France ? Pour quoi faire ? Leur rappeler ce qu'ils font le mieux, transmettre les valeurs de la République et de l'Humanisme ? Autant demander à un magistrat de respecter la loi ! C'est du même ordre, tant la Morale, privée et publique, est le socle professionnel de nos enseignants. Pas tous, je sais, de la plupart. A leur "flécher" autoritairement la route évidente et qu'ils utilisent tous les jours, à leur imposer les outils de leur "cœur de métier ", on aboutira, à l'opposé du but affiché, à figer les comportements, à les normaliser, à geler l'initiative, à casser le moteur précieux de la passion d'enseigner, d'éduquer. Et, en passant, à transformer une des belles figures de la République et de la Résistance française en un "pensum" indigeste, en ânnonant pour la énième fois le texte bouleversant d'un jeune héros de 17 ans devant des élèves qui l'auront entendu N fois justement ! Eh oui, le système qui consiste à faire l'exercice tous les ans amène un élève de France à entendre, si l'on s'en tient aux seuls lycées, 3 ans de suite et 7 ans si on y ajoute les collèges ! Or, il faut en finir avec l'idée que la répétition est la meilleure pédagogie. C'est la pire. Elle assomme et ennuie. C'est une parodie d'éducation civique que l'on impose aux artisans même de l'éducation civique. Pour exiger le "devoir de mémoire", il faudrait avoir fait un constat d'amnésie. Quel mépris pour l'immense majorité des enseignants de France et quelle méconnaissance de leur travail !

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