TU N' EN REVIENDRAS PAS
Tu n'en reviendras pas toi
qui courais les filles Jeune homme dont j'ai vu battre le cœur à nu Quand j'ai déchiré ta chemise et toi non plus Tu n'en reviendras pas vieux joueur de manille
Qu'un obus a coupé par le
travers en deux
Pour une fois qu'il avait
un jeu du tonnerre
Et toi le tatoué l'ancien
légionnaire
Tu survivras longtemps
sans visage sans yeux
On part Dieu sait pour où
ça tient du mauvais rêve
On glissera le long de la
ligne de feu
Quelque part ça commence à
n'être plus du jeu
Les bonshommes là-bas
attendent la relève
Roule au loin roule train
des dernières lueurs
Les soldats assoupis que
ta danse secouent
Laissent pencher leur
front et fléchissent le cou
Cela sent le tabac
l'haleine la sueur
Comment vous regarder sans
voir vos destinées
Fiancés de la terre et
promis des douleurs
La veilleuse vous fait de
la couleur des pleurs
Vous bougez vaguement vos
jambes condamnées
Déjà la pierre pense où
votre nom s'inscrit
Déjà vous n'êtes plus
qu'un mot d'or sur nos places
Déjà le souvenir de vos
amours s'efface
Déjà vous n'êtes plus que
pour avoir péri
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Poème de Louis Aragon, médecin au Front en 1918
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