70ème anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv
Nous sommes rassemblés ce matin pour rappeler l'horreur d'un crime, exprimer
le chagrin de ceux qui ont vécu la tragédie, évoquer les heures noires de la
collaboration, notre histoire, et donc la responsabilité de la France.
Nous sommes ici aussi pour transmettre la mémoire de la Shoah, dont les
rafles étaient la première étape, pour mener le combat contre l'oubli, pour
témoigner auprès des nouvelles générations de ce que la barbarie est capable de
faire et de ce que l'humanité peut elle-même contenir de ressources pour la
vaincre.
Il y a 70 ans, le 16 juillet 1942, au petit matin, 13.152 hommes, femmes et
enfants étaient arrêtés à leur domicile. Les couples sans enfants et les
célibataires furent internés à Drancy, là où s'élèvera à l'automne le musée créé
par le Mémorial de la Shoah.
Les autres furent conduits au Vélodrome d'Hiver. Entassés pendant cinq jours,
dans des conditions inhumaines, ils furent de là transférés vers les camps de
Pithiviers et de Beaune-la-Rolande.
Une directive claire avait été donnée par l'administration de Vichy : « Les
enfants ne doivent pas partir dans les mêmes convois que les parents ». C'est
donc après des séparations déchirantes que les parents d'un côté, les enfants de
l'autre, partirent vers Auschwitz-Birkenau où les déportés de Drancy les avaient
précédés de quelques jours.
Ils y furent assassinés. Pour la seule raison qu'ils étaient juifs.
Ce crime s'est déroulé ici, dans notre capitale, dans nos rues, dans nos
cours d'immeuble, dans nos cages d'escalier, sous nos préaux d'école.
Il allait ouvrir la voie à d'autres rafles, à Marseille et dans toute la
France, c'est-à-dire des deux côtés de la ligne de démarcation. Il y eut aussi
d'autres déportations, notamment celle de Tsiganes.
L'infamie du Vel d'Hiv s'inscrivait dans une entreprise qui n'a pas eu de
précédent et qui ne peut être comparée à rien: la Shoah, la tentative
d'anéantissement de tous les Juifs du continent européen.
76.000 Juifs de France furent déportés vers les camps d'extermination. Seuls
2.500 en sont revenus.
Ces femmes, ces hommes, ces enfants, ne pouvaient pas s'attendre au sort qui
leur avait été réservé. Ils ne pouvaient pas même l'imaginer. Ils avaient
confiance dans la France.
Ils croyaient que le pays de la grande Révolution, que la Ville Lumière, leur
serviraient de refuge. Ils aimaient la République avec une passion inspirée par
la gratitude. C'est en effet à Paris, en 1791, sous la Constituante, que, pour
la première fois en Europe, les Juifs étaient devenus des citoyens à part
entière. Plus tard, d'autres avaient trouvé en France une terre d'accueil, une
chance de vie, une promesse de protection.
Ce sont cette promesse et cette confiance qui furent piétinées il y a
soixante-dix ans.
Je tiens à rappeler les mots que le grand rabbin de France Jacob KAPLAN
adressa au maréchal PETAIN en octobre 1940, après la promulgation de l'odieux
statut des Juifs : « Victimes, écrivait-il, de mesures qui nous atteignent dans
notre dignité d'hommes et dans notre honneur de Français, nous exprimons notre
foi profonde en l'esprit de justice de la France éternelle. Nous savons que les
liens qui nous unissent à la grande famille française sont trop forts pour
pouvoir être rompus. »
Là se situe la trahison.
Par-delà le temps, au-delà du deuil, ma présence ce matin témoigne de la
volonté de la France de veiller sur le souvenir de ses enfants disparus et
d'honorer ces morts sans sépulture, ces êtres dont le seul tombeau est notre
mémoire.
Tel est le sens de l'exigence posée par la République : que les noms de ces
suppliciés ne tombent pas dans l'oubli.
Nous devons aux martyrs juifs du Vélodrome d'Hiverla vérité sur ce qui s'est
passé il y a soixante-dix ans.
La vérité, c'est que la police française, sur la base des listes qu'elle
avait elle-même établies, s'est chargée d'arrêter les milliers d'innocents pris
au piège le 16 juillet 1942. C'est que la gendarmerie française les a escortés
jusqu'aux camps d'internement.
La vérité, c'est que pas un soldat allemand, pas un seul, ne fut mobilisé
pour l'ensemble de l'opération.
La vérité, c'est que ce crime fut commis en France, par la France.
Le grand mérite du Président Jacques
CHIRAC est d'avoir reconnu ici-même, le 16 juillet 1995, cette vérité.
« La France, dit-il,la France, patrie des Lumières et des droits de l'Homme,
terre d'accueil et d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable
».
Mais la vérité, c'est aussi que le crime du Vel d'Hiv fut commis contre la
France, contre ses valeurs, contre ses principes, contre son idéal.
L'honneur fut sauvé par les Justes, et au-delà par tous ceux qui surent
s'élever contre la barbarie, par ces héros anonymes qui, ici, cachèrent un
voisin ; qui, là, en aidèrent un autre ; qui risquèrent leurs vies pour que
soient épargnées celles des innocents. Par tous ces Français qui ont permis que
survivent les trois quarts des Juifs de France.
L'honneur de la France était incarné par le général
de Gaulle qui s'était dressé le 18 juin 1940 pour
continuer le combat.
L'honneur de la France était défendu par la Résistance, cette armée des
ombres qui ne se résigna pas à la honte et à la défaite.
La France était représentée sur les champs de bataille, avec notre drapeau,
par les soldats de la France libre.
Elle était servie aussi par des institutions juives, comme l'œuvre de secours
aux enfants, qui organisa clandestinement le sauvetage de plus de 5.000 enfants
et qui accueillit les orphelins à la Libération.
La vérité ne divise pas. Elle rassemble. C'est dans cet esprit que cette
journée de commémoration avait été instituée par François
MITTERRAND, et que, sous le gouvernement de Lionel JOSPIN, fut créée la
Fondation pour la mémoire de la Shoah. C'est sous ce même gouvernement, avec Jacques
CHIRAC, que fut installée la commission d'indemnisation des victimes des
spoliations antisémites, dont le but était de réparer ce qui pouvait encore
l'être.
Il me revient désormais, dans la chaîne de notre histoire collective, de
poursuivre ce travail commun de mémoire, de vérité et d'espoir.
Elle commence par la transmission.Beaucoup de dérives trouvent leur source
dans l'ignorance. Nous ne pouvons pas nous résigner à ce que deux jeunes
Français sur trois ne sachent pas ce que fut la rafle du Vel d'Hiv.
L'école républicaine, à laquelle j'exprime ici ma confiance, a une mission :
instruire, éduquer, enseigner le passé, le faire connaître, le comprendre, dans
toutes ses dimensions. La Shoah est inscrite au programme du CM2, de la 3ème et
de la 1ère.
Il ne doit pas y avoir en France une seule école, un seul collège, un seul
lycée, où elle ne puisse être enseignée. Il ne doit pas y avoir un seul
établissement où cette histoire-là ne soit pleinement entendue, respectée et
méditée. Il ne peut y avoir, il n'y aura pas, pour la République, de mémoire
perdue.
J'y veillerai personnellement.
L'enjeu est de lutter sans relâche contre toutes les formes de falsification
de l'Histoire. Non seulement contre l'outrage du négationnisme, mais aussi
contre la tentation du relativisme. Transmettre l'histoire de la Shoah, c'est en
effet enseigner sa terrible singularité. Ce crime reste, par sa nature, par sa
dimension, par ses méthodes, par l'effrayante précision de sa mise en œuvre, un
abîme unique dans l'histoire des hommes. Cette singularité-là doit être
constamment rappelée.
Transmettre cette mémoire, c'est enfin en retenir toutes les leçons.C'est
comprendre comment l'ignominie fut possible hier, pour qu'elle ne puisse plus
jamais ressurgir demain.
La Shoah n'est pas née de rien ni venue de nulle part. Certes, elle fut mise
en œuvre par l'alliance inédite et terrifiante de l'obstination dans le délire
raciste et de la rationalité industrielle dans l'exécution. Mais elle a aussi
été rendue possible par des siècles d'aveuglement, de bêtise, de mensonges et de
haine.Elle a été précédée de multiples signes avant-coureurs, qui n'ont pas
alerté les consciences.
Notre vigilance ne doit jamais être prise en défaut. Aucune Nation, aucune
société, aucune personne n'est immunisée contre le Mal. N'oublions pas ce
jugement de Primo LEVI à propos de ses persécuteurs : « Sauf exceptions, ils
n'étaient pas des monstres ; ils avaient notre visage ». Restons en alerte, afin
de savoir déceler le retour de la monstruosité sous ses airs les plus anodins.
Je sais les craintes exprimées par certains d'entre vous. Je veux y répondre.
Consciente de cette Histoire, la République pourchassera avec la plus grande
détermination tous les actes antisémites ; mais encore tous les propos qui
pourraient seulement amener les Juifs de France à se sentir inquiets dans leur
propre pays.
Rien, en la matière, n'est indifférent. Tout sera combattu avec la dernière
énergie. Taire l'antisémitisme, le dissimuler, l'expliquer, c'est déjà
l'accepter.
La sécurité des Juifs de France n'est pas l'affaire des Juifs, c'est celle de
tous les Français, et j'entends qu'elle soit garantie en toutes circonstances et
en tous lieux.
Il y a quatre mois, à Toulouse, des enfants mouraient pour la même raison que
ceux du Vel d'Hiv : parce qu'ils étaient juifs.
L'antisémitisme n'est pas une opinion, c'est une abjection. Pour cela, il
doit d'abord être regardé en face. Il doit être nommé et reconnu pour ce qu'il
est. Partout où il se déploie, il sera démasqué et puni.
Toutes les idéologies d'exclusion, toutes les formes d'intolérance, tous les
fanatismes, toutes les xénophobies, qui tentent de développer la logique de la
haine, trouveront la République sur leur chemin.
Chaque samedi matin, dans toutes les synagogues françaises, à la fin de
l'office, retentit la prière des Juifs de France, celle qu'ils adressent pour le
salut de la patrie qu'ils aiment et qu'ils veulent servir : « Que la France vive
heureuse et prospère. Qu'elle soit forte et grande par l'union et la concorde.
Qu'elle jouisse d'une paix durable et conserve son esprit de noblesse parmi les
Nations ».
Cet esprit de noblesse, c'est la France tout entière qui doit en être digne.
Enseigner sans relâche la vérité historique ; veiller scrupuleusement sur le
respect des valeurs de la République ; rappeler sans cesse l'exigence de
tolérance religieuse, dans le cadre de nos lois laïques ; ne jamais céder sur
les principes de liberté et de dignité de la personne ; toujours promouvoir la
promesse de l'égalité et de l'émancipation. Voilà les mesures que nous devons
collectivement nous assigner.
C'est en pensant aux vies qui n'ont pu s'accomplir, à ces enfants privés
d'avenir, à ces destins fauchés prématurément que nous devons porter à un niveau
plus élevé encore les exigences de nos propres existences. C'est en refusant les
indifférences, les négligences, les complaisances, que nous nous rendrons plus
forts ensemble.
C'est en étant lucides sur notre propre histoire que la France, grâce à
l'esprit de concorde et d'union, portera le mieux ses valeurs, ici et partout
dans le monde.
Vive la République !
Vive la France !
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