Tribune de Christian Paul, Président du laboratoire des idées du PS, député de la Nièvre
La reconstruction d'une pensée sociale offensive couplée à la faillite du néolibéralisme donne l'occasion à la gauche d'être, de nouveau, à la hauteur de son histoire et des enjeux d'aujourd'hui. Dans le champ des idées de nouveau emblavé, nos réponses s'élaborent : valoriser le travail, redonner crédit à l'émancipation par l'éducation, améliorer le vivre-ensemble. Surtout, nous devons donner un nouveau souffle à la solidarité. Sans cesser de la fonder sur des droits, nous voulons la réhumaniser, la mettre au coeur de la société plutôt que la cantonner à l'Etat, la "doper" avec des principes comme le soin mutuel, l'attention aux autres, le care, ces formes de sollicitude qui, dans la vie quotidienne, accompagnent et renforcent la prestation - indispensable - grâce à la relation et à la pluralité des liens sociaux.
A droite, il est de bon ton, et pourtant hasardeux, comme François Fillon devant l'UMP en perte de valeurs, de travestir l'idée du care, résumée à la charité. Contresens évident, quand on mesure l'ampleur que lui donne Joan Tronto : "Une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre "monde" de sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible." Oui, nous défendons une société du respect, de l'attention aux autres, contre la société du mépris.
Faut-il dès lors s'étonner d'être la cible que ceux que révoltent si peu la brutalité des rapports sociaux, l'explosion des inégalités ou les excès de l'égoïsme contemporain ? Et si on s'offusque que des idées sincères trouvent un renfort dans un mot venu d'ailleurs, nous répondrons qu'à la rationalité néolibérale du monde il n'est pas honteux de répondre par des coalitions elles-mêmes transfrontières !
En feignant de s'attaquer à un "slogan creux", ceux qui méprisent ce débat passent à côté d'un concept politique fécond. Ils font l'impasse sur les vulnérabilités, anciennes et nouvelles, celle du travail, celle des précaires et des minorités, celle de tous les âges, celles qui, tôt ou tard, n'épargnent aucun d'entre nous. Ils se désintéressent de cette coopération démocratique qui permet de "faire société" dans un monde commun. Ils renoncent à changer la vie.
A gauche, il faut surtout retenir que la politique du care vient compléter la justice et les droits qui l'incarnent, et non les supplanter. Pour repenser la solidarité, aller vers l'égalité réelle, rendre les citoyens capables, affirmer des droits nouveaux, tant notre idée de la justice est loin d'être accomplie.
Il n'y a là ni mode ni formule magique, mais la mise sous tension créatrice nécessaire à un projet de société qu'on veut l'écrire hors des routines paresseuses et des procès d'intention. Quant au care, dix ouvrages en moins de deux ans et quelques-uns des philosophes de la nouvelle génération, tels Fabienne Brugère, Sandra Laugier ou Frédéric Worms, l'ont illustré.
Pour le projet de la gauche, j'y vois deux opportunités majeures.
D'abord, éclairer nos valeurs, inspirer notre conception des rapports dans la société. Le care permet d'éviter deux écueils. Il fait obstacle aux excès de l'individualisme, et, à l'autre bout, il relativise les promesses de ce que Marx appelait l'"universalisme abstrait". Affirmons aussi que le souci des autres n'est pas davantage une affaire de bons sentiments que de compassion ! Philippe Kourilsky a même parlé d'"altruisme rationnel". C'est une politique du courage, et non pas une politique de la pitié. C'est une manière d'humaniser nos choix politiques, trop souvent éloignés des vies réelles, de donner une dimension plus sensible à la démocratie.
Mais nous serions loin du compte si ces réflexions n'avaient pas pour but d'inspirer des changements concrets dans nos institutions de solidarité. Nous trouvons des propositions inventives et précieuses pour l'action sociale, pour l'amélioration des services et des protections collectives que l'Etat organise en faveur de la petite enfance, du grand âge ou face aux épreuves de la maladie ou du handicap.
Dans ce cadre sont attendus plus de proximité et d'écoute, d'accompagnement, d'implications des réseaux d'entraide et de voisinage, en renfort des prestations financières. Mais surtout, le travail du soin exige une reconnaissance nouvelle pour d'innombrables professionnels, de leurs métiers, de leurs formations, des infirmiers(e)s aux aides-soignant(e)s, des assistantes maternelles aux auxiliaires de vie, et bien au-delà.
Plus généralement, la personnalisation des services publics doit figurer en bonne place dans un programme au service de l'égalité réelle, dans l'éducation, la santé, la parité, l'emploi ou même... la sécurité. Réponses standardisées et traitements anonymes ne permettent plus de satisfaire des besoins sociaux complexes et différenciés. Ces besoins eux-mêmes doivent être mieux évalués et débattus, dans une approche de co-conception des services publics avec les citoyens usagers. Pour consolider et améliorer les services publics, en récusant la démission et la privatisation de l'Etat, mis au goût du jour par la "Big Society" de David Cameron que lorgne la droite française en quête de vision.
Porter un projet pour des retraites universelles et personnalisées, réfléchir à une offre de soin adaptable, qui n'oublie pas les territoires de marge, ruraux ou périurbains, penser le parcours des demandeurs d'emploi à partir de leurs expériences et des besoins de chacun : autant de pistes à explorer pour un Etat prévoyant, et pas seulement réparateur, pour une société fière de ses institutions sociales, mais aussi soucieuse d'émancipation, et qui respecte le niveau d'autonomie de chacun.
N'allons pas chercher dans la politique du care ce qu'elle n'a pas vocation à apporter : elle aide à mieux formuler notre projet, l'avenir de notre modèle social et une foule d'initiatives locales. Elle rappelle aussi l'importance des associations, en voie d'abandon, d'espaces non marchands ou gratuits, qui bornent la marchandisation de la société. La politique du care réaffirme aussi la nécessité de soutenir l'innovation sociale et l'engagement citoyen. Elle ne nous dispense pas des transformations urgentes dans l'ordre économique. Ignorant les cyniques, cette approche, modeste et ambitieuse à la fois, incarne le progrès et permettra de renouer avec ce que Levinas nommait "la non-indifférence".
A droite, il est de bon ton, et pourtant hasardeux, comme François Fillon devant l'UMP en perte de valeurs, de travestir l'idée du care, résumée à la charité. Contresens évident, quand on mesure l'ampleur que lui donne Joan Tronto : "Une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre "monde" de sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible." Oui, nous défendons une société du respect, de l'attention aux autres, contre la société du mépris.
Faut-il dès lors s'étonner d'être la cible que ceux que révoltent si peu la brutalité des rapports sociaux, l'explosion des inégalités ou les excès de l'égoïsme contemporain ? Et si on s'offusque que des idées sincères trouvent un renfort dans un mot venu d'ailleurs, nous répondrons qu'à la rationalité néolibérale du monde il n'est pas honteux de répondre par des coalitions elles-mêmes transfrontières !
En feignant de s'attaquer à un "slogan creux", ceux qui méprisent ce débat passent à côté d'un concept politique fécond. Ils font l'impasse sur les vulnérabilités, anciennes et nouvelles, celle du travail, celle des précaires et des minorités, celle de tous les âges, celles qui, tôt ou tard, n'épargnent aucun d'entre nous. Ils se désintéressent de cette coopération démocratique qui permet de "faire société" dans un monde commun. Ils renoncent à changer la vie.
A gauche, il faut surtout retenir que la politique du care vient compléter la justice et les droits qui l'incarnent, et non les supplanter. Pour repenser la solidarité, aller vers l'égalité réelle, rendre les citoyens capables, affirmer des droits nouveaux, tant notre idée de la justice est loin d'être accomplie.
Il n'y a là ni mode ni formule magique, mais la mise sous tension créatrice nécessaire à un projet de société qu'on veut l'écrire hors des routines paresseuses et des procès d'intention. Quant au care, dix ouvrages en moins de deux ans et quelques-uns des philosophes de la nouvelle génération, tels Fabienne Brugère, Sandra Laugier ou Frédéric Worms, l'ont illustré.
Pour le projet de la gauche, j'y vois deux opportunités majeures.
D'abord, éclairer nos valeurs, inspirer notre conception des rapports dans la société. Le care permet d'éviter deux écueils. Il fait obstacle aux excès de l'individualisme, et, à l'autre bout, il relativise les promesses de ce que Marx appelait l'"universalisme abstrait". Affirmons aussi que le souci des autres n'est pas davantage une affaire de bons sentiments que de compassion ! Philippe Kourilsky a même parlé d'"altruisme rationnel". C'est une politique du courage, et non pas une politique de la pitié. C'est une manière d'humaniser nos choix politiques, trop souvent éloignés des vies réelles, de donner une dimension plus sensible à la démocratie.
Mais nous serions loin du compte si ces réflexions n'avaient pas pour but d'inspirer des changements concrets dans nos institutions de solidarité. Nous trouvons des propositions inventives et précieuses pour l'action sociale, pour l'amélioration des services et des protections collectives que l'Etat organise en faveur de la petite enfance, du grand âge ou face aux épreuves de la maladie ou du handicap.
Dans ce cadre sont attendus plus de proximité et d'écoute, d'accompagnement, d'implications des réseaux d'entraide et de voisinage, en renfort des prestations financières. Mais surtout, le travail du soin exige une reconnaissance nouvelle pour d'innombrables professionnels, de leurs métiers, de leurs formations, des infirmiers(e)s aux aides-soignant(e)s, des assistantes maternelles aux auxiliaires de vie, et bien au-delà.
Plus généralement, la personnalisation des services publics doit figurer en bonne place dans un programme au service de l'égalité réelle, dans l'éducation, la santé, la parité, l'emploi ou même... la sécurité. Réponses standardisées et traitements anonymes ne permettent plus de satisfaire des besoins sociaux complexes et différenciés. Ces besoins eux-mêmes doivent être mieux évalués et débattus, dans une approche de co-conception des services publics avec les citoyens usagers. Pour consolider et améliorer les services publics, en récusant la démission et la privatisation de l'Etat, mis au goût du jour par la "Big Society" de David Cameron que lorgne la droite française en quête de vision.
Porter un projet pour des retraites universelles et personnalisées, réfléchir à une offre de soin adaptable, qui n'oublie pas les territoires de marge, ruraux ou périurbains, penser le parcours des demandeurs d'emploi à partir de leurs expériences et des besoins de chacun : autant de pistes à explorer pour un Etat prévoyant, et pas seulement réparateur, pour une société fière de ses institutions sociales, mais aussi soucieuse d'émancipation, et qui respecte le niveau d'autonomie de chacun.
N'allons pas chercher dans la politique du care ce qu'elle n'a pas vocation à apporter : elle aide à mieux formuler notre projet, l'avenir de notre modèle social et une foule d'initiatives locales. Elle rappelle aussi l'importance des associations, en voie d'abandon, d'espaces non marchands ou gratuits, qui bornent la marchandisation de la société. La politique du care réaffirme aussi la nécessité de soutenir l'innovation sociale et l'engagement citoyen. Elle ne nous dispense pas des transformations urgentes dans l'ordre économique. Ignorant les cyniques, cette approche, modeste et ambitieuse à la fois, incarne le progrès et permettra de renouer avec ce que Levinas nommait "la non-indifférence".
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