mardi 30 novembre 2010

Une Suisse traumatisée par les étrangers

chronique : Une Suisse traumatisée par les étrangerspar Marc Schindler, Journaliste suisse


La France connaît aussi « la peine d’interdiction du territoire » pour une durée d’un à dix ans ou définitivement. Cette peine est prononcée par un tribunal pour un crime ou un délit grave (environ 200 délits, selon la Cimade). En cas de « menace grave pour l’ordre public », un étranger peut être expulsé. La Suisse avait une pratique plutôt restrictive : plusieurs centaines d’étrangers qui ont commis un délit grave sont expulsés chaque année sur décision d’un juge, mais en tenant compte de la gravité du délit, passible d’une peine d’au moins deux ans. Dorénavant, l’expulsion sera automatique s’ils ont été condamnés pour un crime comme le meurtre, le viol, le trafic de drogue ou l’abus de l’aide sociale.

La droite modérée, la gauche, les Églises et les médias suisses sont consternés par ce vote. Le projet de l’UDC et le contre-projet gouvernemental sur le renvoi des étrangers criminels ont profondément divisé l’opinion et les partis. Juridiquement, l’initiative inscrite dans la Constitution est contraire aux engagements pris par la Suisse. Elle risque de provoquer une crise avec Bruxelles. Mais la machine de l’UDC a labouré un terrain fertile : la Suisse est traumatisée par les étrangers. Les xénophobes ont joué sans scrupule sur la peur à coup d’affiches-chocs (l’étranger violeur bientôt citoyen suisse ou le mouton noir expulsé par les moutons blancs), et en manipulant les statistiques. En faisant croire que 52 % des délinquants sont des étrangers ou que 85 % des viols sont commis par des étrangers, ce qui est faux. Les opposants à l’UDC n’ont pas su contrer cette campagne démagogique et le patronat a refusé de financer les partisans du « non ».

Le jeu politique de l’UDC est dangereux parce qu’il présente la population étrangère comme responsable des maux de la société suisse. La crise, le chômage, le trafic de drogue, la violence — c’est la faute aux étrangers, « comme Hitler disait c’est la faute aux Juifs », pour reprendre le mot du député démocrate-chrétien Jacques Neirynck. Cela ne vous rappelle pas les manipulations de Jean-Marie Le Pen : « 3 millions d’immigrés=3 millions de chômeurs » ?

Bien sûr, la Suisse compte environ 22 % d’étrangers, avec de grandes différences selon les cantons : Genève compte 35.7 % d’étrangers, Zurich 23.8 % et le petit canton d’Uri, au coeur de la Suisse, seulement 9.3 %. Et, étonnamment, ce sont les cantons qui ont le plus d’étrangers, comme Genève, qui ont rejeté le projet de l’UDC, alors que la propagande xénophobe a convaincu les cantons qui comptent le moins d’étrangers, comme Uri. Les Suisses alémaniques sont plus xénophobes que les Romands : selon un sondage du SonntagsBlick, un Alémanique sur deux pense que 22 % d’étrangers, c’est trop. Alors qu’un Romand sur cinq seulement a le même avis. Les cantons romands ont rejeté presque à l’unanimité l’initiative de l’UDC. Il faut savoir que la plupart des étrangers qui résident en Suisse viennent de l’Union européenne, ils sont établis dans la Confédération depuis des années, parfois même ils y sont nés. Et d’après les statistiques policières, ces étrangers ne sont pas plus criminels que les Suisses.

Le vrai problème, exploité par l’UDC, ce sont les 18 000 étrangers qui ont un permis de séjour de moins d’un an et les requérants d’asile. La plupart viennent de pays en guerre ou qui connaissent une situation dramatique, comme l’Érythrée ou le Nigeria. Pendant que les autorités suisses statuent sur leur demande d’asile, ces requérants ne peuvent ni travailler ni vivre avec leur famille. Ce sont évidemment ces étrangers qui sont majoritairement condamnés pour trafic de drogue, violence ou abus des prestations sociales. Ce sont eux aussi qui sont utilisés comme épouvantail par l’UDC.

Le plus inquiétant pour la démocratie suisse, c’est que la victoire des xénophobes va leur donner des ailes pour les élections fédérales de l’an prochain. Alors que le président du PS suisse affirme : « Nous sommes dans une situation sans espoir », l’UDC triomphe et se proclame « en phase avec la population ». La Suisse, comme la plupart des démocraties européennes, est menacée par la xénophobie et le populisme.

1 commentaire:

grognon a dit…

Les Helvètes ne sont pas traumatisés par les fortunes françaises qui viennent planquer leur pognon chez eux.

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