Nous ne sommes pas condamnés à l’austérité à perpétuité et au «scénario japonais» d’une stagnation prolongée
Par HENRI WEBER député européen, secrétaire national adjoint à la mondialisation
La
question du traité budgétaire s’inscrit dans une interrogation plus vaste :
comment réorienter la construction européenne, dans le cadre du rapport de force
existant en France et en Europe ? Ce rapport de force entre la gauche réformiste
et la droite conservatrice libérale est en réalité ambivalent. Du côté négatif,
il y a le bras de fer économique : notre dette publique, – héritée des
gouvernements précédents – atteint 90% de notre PIB et est détenue aux deux
tiers par des investisseurs étrangers. En 2013, nous devrons lever 150 milliards
d’emprunts nouveaux sur les marchés financiers. Si nous continuons à emprunter à
2,3% à 10 ans (et beaucoup moins sur les emprunts courts), cette situation est
maîtrisable. Mais si nos taux d’intérêt montent à 5 ou 6%, comme c’est le cas en
Italie ou en Espagne, nous avons de gros soucis à nous faire. Il est possible
qu’en tout état de cause, la «défiance» des marchés financiers se porte à son
tour sur la France. Mais si le gouvernement français refusait de ratifier le
TSCG, c’est certain.
Côté
négatif aussi, il y a le rapport de force politique : vingt-cinq Etats de
l’Union européenne (UE) ont signé le Traité budgétaire et treize l’ont déjà
ratifié. Cela n’a rien de surprenant, puisque vingt-et-un d’entre eux, sur
vingt-sept, sont gouvernés par des majorités de droite. Il ne suffit pas au
gouvernement français de taper du poing sur la table pour être obéï. Toute
réorientation de la construction européenne est-elle donc vouée à l'échec et
sommes-nous condamnés à l’austérité à perpétuité et au «scénario japonais» d’une
stagnation prolongée ? Que nenni ! Car le côté positif du rapport des forces est
également fourni : il y a tout d’abord la «pédagogie par les faits» et le subtil
travail qu’elle opère dans les têtes. Même les libéraux les plus obtus
constatent, après quatre années d’expérience, que la généralisation de plans
d’austérité de plus en plus durs ne débouche pas sur le désendettement et le
retour à la compétitivité des pays qui s’y trouvent soumis, mais sur leur
enlisement dans la récession et leur surendettement aggravé. L’explosion du
chômage et l’extension de la pauvreté qui s’ensuivent provoquent la révolte
sociale et la radicalisation politique, qui menacent le projet européen en son
cœur.
L’idée
qu’on n’arrivera à rien sans un retour à la croissance, défendue par François
Hollande à chaque sommet européen, fait son chemin : les délais imposés à la
Grèce, au Portugal, à l’Espagne pour réduire leurs déficits et revenir à
l'équilibre budgétaire ont été prolongés par les autorités européennes.
Aujourd’hui, c’est le FMI qui recommande d’alléger et d'étaler dans le temps les
politiques d’ajustement budgétaires en Espagne. En contradiction avec la lettre
des traités, la BCE s’engage à racheter «en quantité illimité» les dettes
publiques des pays de l’Eurozone en difficulté, afin de fixer un plafond à leur
taux d’intérêt et assurer leur solvabilité. L’Union bancaire, garante de la
stabilité financière de l’Europe, a fait plus de progrès en deux mois qu’en dix
ans. Des nouvelles «ressources propres» – la taxe sur les transactions
financières, les euro-obligations pour projets... – sont décidées, pour
renforcer le budget de l’Union. Une «Feuille de route» de l’Europe vers l’Union
politique est préparée par le Président Van Rompuy et ses trois mousquetaires
(Draghi, Barroso, Juncker) pour décembre 2012.
Dans
ce contexte, il ne faut pas considérer les contreparties obtenues par François
Hollande en échange de la ratification du «Traité budgétaire» par la France,
comme un point d’arrivée – un solde de tout compte –, mais comme un point de
départ. La «gauche radicale» a tort de dénigrer ces contreparties : le plan de
relance mobilise 120 milliards d’euros (240 milliards, par effet de levier). Il
sera suivi d’autres plans de croissance. La Taxe sur les Transactions
Financières et les ProjectsBonds viendront augmenter ces moyens de financement
des grands programmes de l’UE : infrastructures transcontinentales et
investissements dans «l'économie verte». L’Union bancaire étend les missions de
la BCE à la supervision des banques européennes, en même temps qu’elle assure
les dépôts des petits épargnants et institue un fonds de résolution des
faillites bancaires.
Ces
pas en avant en appellent d’autres. Un front se forme, englobant les peuples
d’Europe du Sud – et, de plus en plus, leurs gouvernements –, les syndicats, les
grandes associations, les gouvernements progressistes, pour donner la priorité à
la croissance. Pour réorienter et faire avancer l’Europe, il faut amplifier et
consolider ce rassemblement, lui proposer de nouveaux objectifs, en aucun cas,
le désagréger, en prenant des postures radicales qui auraient pour seule
conséquence d’aggraver la crise des dettes souveraines et bancaires en Europe.
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