jeudi 8 mars 2012

L’étrange performance de Nicolas Sarkozy

Laurent Joffrin
Par Laurent Joffrin
Directeur du Nouvel Observateur

En insistant sur le nombre d'immigrés en France, le président-candidat donne des arguments de taille au Front National.

Bon à la télé, Sarkozy ? Oui, comme toujours. Trois heures de joute affrontées sans faiblir en dépit des obstacles dressés devant lui par des journalistes soudain impertinents et même cruels. Mais la question pour lui n’est pas qu’on le trouve bon. Il faut qu’on le croie : le défi est autrement redoutable. Entre promesses non-tenues et approximations à l’emporte-pièce, il y a fort à faire pour restaurer un lien de confiance avec l’opinion. Et comme aurait dit Claude Lévi-Strauss, si Sarkozy n’est pas cru… il est cuit.

Un seul exemple : l’immigration. Il y a trop d’étrangers en France, dit le président. En fait, le nombre des étrangers présents sur le territoire est plutôt inférieur, en proportion, à ce qu’il est dans beaucoup de pays européens. Et un peu de bon sens nous indique que les difficultés sont surtout causées par cette partie des enfants d’immigrés qui ont beaucoup de mal à s’intégrer au marché du travail et donc à la société, bien plus que par les nouveaux entrants, qui rasent les murs en espérant trouver un travail. Le flux des arrivants, en regard de ces difficultés d’intégration, est un problème second : il représente 0,3% de la population totale.

Mais surtout, en une phrase hautement contestable assénée avec le ton de l’évidence, le président avalise d’un coup trente années de propagande du Front national. Il y a trop d’étrangers en France ? Ainsi, pour Sarkozy, le FN avait raison ! Rarement on a rendu au parti de Marine Le Pen un service aussi signalé. Rarement on lui a tendu une perche aussi grosse. Car s’il y a en France trop d’étrangers, diront les frontistes, qui les a laissés entrer ? Qui, sinon la droite classique, au pouvoir depuis dix ans ? Pour l’électorat hostile ou méfiant à l’égard des étrangers, la conclusion s’impose d’elle-même : voilà un médecin qui prétend soigner un mal qu’il a lui-même causé. Le plus simple, dans ces conditions, c’est de changer de médecin.

Ce tête-à-tête droite-extrême droite, dans lequel on ne sait plus très bien qui est qui, commence à devenir délétère pour le pays. Non, les étrangers ne sont pas responsables de la crise. Non, l’immigration n’est pas le problème central de cette élection. Non, le renvoi des étrangers ou la réduction du nombre de ceux qui arrivent ne nous aidera pas à réduire le chômage ou à rétablir les comptes sociaux. Nous sommes dans la norme européenne en cette matière. On doit améliorer les conditions d’accueil, réguler les flux, quitte à opérer des reconduites à la frontière. On doit lutter, surtout, contre la relégation et les discriminations. Mais le président de la République, qui est censé réunir la nation, s’acharne à la diviser en cherchant des boucs émissaires. C’est une mauvaise action.

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