dimanche 5 février 2012

L'éditorial de Laurent Joffrin

Petitesse et décadence du Sarko-show

Par Laurent Joffrin
Directeur du Nouvel Observateur

La communication politique, orchestrée par les pontes de la com, arrive à ses limites.

Le président de la république aurait-il embauché dans son équipe de campagne un certain Potemkine ? On est tenté de le croire quand on s’aperçoit qu’une partie des spectateurs présents lors de son dernier déplacement, au chantier de Mennecy dans l’Essonne, loin d’avoir participé spontanément à cette visite médiatisée, ont été acheminés pour les besoins de la cause, de manière à étoffer artificiellement les rangs du public.

Grigori Potemkine était le favori de l’impératrice de Russie Catherine II. Il n’a pas seulement attaché son nom à un cuirassé immortalisé par Eisenstein. La légende – contestée – veut que ce ministre du début du 18e siècle faisait construire dans les villages traversés par la tzarine des façades de bois pimpantes qui cachaient les baraques délabrées dans lesquelles habitaient les misérables paysans russes. Ainsi Catherine II avait-elle le sentiment que la Sainte Russie était une nation prospère qui faisait le bien du peuple.

Figurants

Cette tactique de communication n’est pas nouvelle en sarkozie. Plusieurs fois, les journalistes s’étaient aperçus qu’une partie des foules enthousiastes qui accueillaient le président lors de ses déplacements étaient en fait composées pour partie de militants de l’UMP convoqués pour faire masse. En 2009, lors d’une autre visite d’usine, la télévision belge avait constaté que les ouvriers et les ouvrières avaient été sélectionnés sur leur taille, de manière à ne pas apparaître trop grands par rapport au président. Au chantier de Mennecy, la ruse a été éventée : le "buzz" subséquent porte, non sur les propos présidentiels, mais sur cet artifice un peu ridicule.

L’anecdote illustre un phénomène plus profond. Il est probable que nous assistons en direct, pendant cette étrange campagne, à l’effondrement d’un mode de communication politique. Il y a bientôt quatre ans, à la suite d’erreurs grossières, la cote de popularité de Nicolas Sarkozy a soudain chuté au plus bas.

Eléments de langage

Pour la remonter, le président a appliqué cette méthode dont tant de commentateurs nous ont expliqué qu’elle était redoutable, absolument moderne et hyper-professionnelle : saturation des écrans de télévision par une activité incessante ; définition systématique de l’agenda médiatique par le lancement à jet continu d’idées nouvelles, de polémiques inattendues, de décisions spectaculaires et surprenantes ; éléments de langage répétés partout par des ministres ou des députés changés en autant de perroquets cathodiques ; tirs groupés de "snipers" désignés à l’avance et maniant sans vergogne l’outrance la plus impudente, dont Nadine Morano est la plus caricaturale ; formules à l’emporte-pièce qu’on répète inlassablement de discours en discours, comme si le public n’avait aucune mémoire des paroles prononcées et comme si les journalistes ne gardaient aucune trace des discours précédents.

Fin d'une période

Que s’est-il passé pendant ces quatre années ? Rien. Quel a été l’effet de ce déferlement communicationnel ? Nul. La cote de popularité du président n’a jamais bougé. Pire, à force de mises en scène trop visibles et d’exagérations polémiques, la parole présidentielle est aujourd’hui totalement dévaluée. Comme dans un théâtre dont on verrait les coulisses et les cintres, le spectateur ne marche plus. Il va toujours au spectacle mais il sait que c’est chiqué. Trop de com tue la com.

Du coup, la communication artisanale de l’équipe Hollande, fondée sur des visites classiques, une parole discrète et parfois hésitante, un mélange d’humour et de simplicité, des meetings traditionnels avec militants chaleureux et lyrisme à l’ancienne, un programme prudent travaillé au cordeau et écrit dans un langage sobre, l’absence de ces gourous mirobolants dont on croyait ne jamais pouvoir se passer, cette communication, donc, ringarde aux yeux des professionnels, maintient le champion du PS au zénith des sondages depuis bientôt six mois. L’absence de com est la meilleure com.

Qu’on soit favorable à l’un ou à l’autre des deux champions, on accueillera cette nouvelle avec un soulagement certain. La politique spectacle arrive à sa limite. Le public préfère une certaine maladresse si elle est gage de sincérité. Les agences de com y perdront du chiffre d’affaires. Mais la démocratie y gagnera peut-être en qualité.

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