Monsieur le Préfet,
Je n’ai aucune peine à imaginer votre consternation ce soir devant tant d’injustice. Avez-vous eu seulement droit à une explication ? à un « casse toi pauv’con » peut être? je m’interroge : Christian Clavier ou un autre ami du Président aurait-il été de quelque manière gêné par les huées des enseignants de Saint Lô ?
Vous devez regarder avec tristesse et désolation cette République que vous avez servie. Je vous comprends si bien, elle ne ressemble plus guère à celle que nous aimons.
En êtes vous vraiment étonné ? j’en doute, mais votre devoir de réserve vous oblige depuis bien longtemps à ne pas commenter les abus de langage et les amalgames d’un Président assimilant jeunes des banlieues et racailles, immigration et égorgement des moutons, promotion de l’égalité et prévention de la délinquance...
Ne pas commenter non plus le soutien affiché aux statistiques ethniques à usage policier ou encore le très vichyste fichier Edwige…
Ne pas commenter enfin ces propos nauséabonds tenus à Michel Onfray sur les explications génétiques de la pédophilie et du suicide des jeunes...
« La France tu l’aimes ou tu la quittes » ! Voilà qu’on vous oblige aujourd’hui à quitter celle de Nicolas Sarkozy, n’en soyez pas désolé, il est parfois préférable de ne pas être, sans mauvais jeu de mot, du côté du manche.
Car, monsieur le Préfet, quelle politique servez vous depuis plus d’un an ? une politique réactionnaire, liberticide et profondément anti-humaniste, qui n’est l’héritage ni du gaullisme, ni du christianisme social, ni de l’humanisme libéral.
Songez-y, songez à cette obsession ethnique, à cette approche très « racialiste » de la politique de l’immigration. Une politique de restriction des droits des étrangers, de reniement du droit d’asile, de durcissement des conditions du regroupement familial, qui n’hésite pas à recourir aux tests ADN et à dire son intention de mettre en place des quotas par origine géographique. Une politique fondée sur la suspicion généralisée et récurrente envers les étrangers, sur un productivisme insensé des reconduites à la frontière. Et dire que Messieurs Hortefeux et Besson auraient voté Barack Obama…
Non, Monsieur le Préfet, ne regrettez rien !
Voyez le tour qu’est en train de prendre notre justice !
Aux attaques directes et habituelles de Nicolas Sarkozy contre l’institution, accusée de ne pas faire son travail et de trahir le peuple, a succédé un travail de sape et la promotion d’une justice du fait divers, de l’émotion, une justice rendue au nom des victimes et non plus au nom du peuple français, bref une justice qui venge… avec ses peines planchers, cette justice automatique à l’américaine, avec sa rétention de sûreté, véritable politique de prévention de la récidive par l’arbitraire, avec la suppression du juge d’instruction, avec la remise en cause de l’irresponsabilité pénale des malades mentaux ou de la majorité pénale à 16 ans…mais aussi, c’est vrai, pour les amis, la dépénalisation du droit des affaires !
Non, vraiment, monsieur le Préfet, ne regrettez rien !
Ne regrettez pas cette « caporalisation de la mémoire » et ce curieux regard du Président sur notre histoire, des bienfaits de la colonisation à cette France rêvée qui n'aurait « pas commis de crime contre l'humanité, ni cédé à la passion totalitaire ». Sans aucun doute la France n'a-t-elle pas à rougir de son histoire, mais à force de relire notre histoire sans honte, on fini par s'arranger avec la vérité. Or l'honneur de la République, c'est de regarder son passé tel qu'il a été.
Vous, Monsieur le Préfet, qui avez inscrit vos pas dans ceux de Jean Moulin et d’Erignac, ne regrettez rien !
Profitez en pour vous démarquer de cette conception de la laïcité « positive », une laïcité qui prend en réalité parti pour ceux qui croient contre ceux qui ne croient pas, qui prend parti pour les curés plutôt que pour les hussards noirs de la République, en prétendant qu’il n’est d’autre espérance que spirituelle, alors qu’au contraire la laïcité c’est d’abord la neutralité, l'égale liberté de conscience, le libre exercice du culte quelque soit la confession. Une laïcité si positive qu’elle ouvre discrètement la porte à la reconnaissance des sectes comme « des mouvements spirituels nouveaux » pour reprendre les mots exacts de celui qui n’était que candidat à l’Elysée lorsqu’il publia son ouvrage La république, les religions, l’espérance… Tout un programme…
Et que dire, monsieur le Préfet de notre diplomatie, celle d’un « vieux pays d’un vieux continent » ?
Voyez comme la diplomatie de la cécité a pris le pas sur la diplomatie des droits de l’homme, on visite nos vieux complices comme Omar Bongo au pouvoir depuis 1967. On accueille nos nouveaux amis comme Kadhafi, on baisse les yeux devant les puissants russes ou chinois… On s’aligne sur W. BUSCH, au point d’envisager de rejoindre le commandement intégré de l’OTAN ou de renforcer notre engagement militaire en Afghanistan sans consulter la représentation nationale…
Enfin on plaide pour le partenariat avec l’Afrique, mais on joue les Tintin au Congo en déclarant à Dakar : « l'homme africain n'est pas assez entré dans l'Histoire (…). Jamais il ne s'élance vers l'avenir (…) Dans cet univers où la nature commande tout, l'homme reste immobile au milieu d'un ordre immuable où tout est écrit d'avance. (…) Il n'y a de place ni pour l'aventure humaine, ni pour l'idée de progrès. » Consternant, le rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’homme dirait « raciste » !
Que dire pour finir, monsieur le Préfet de cette mise au pas des médias, du limogeage d’Alain Genestar à la nomination par le Président de la République du dirigeant de France télévision. Que dire de ce grand bond en arrière ! du retour de Pimprenelle et Nicolas (Sarkozy) tous les soirs à l’ORTF pour nous endormir !
Que dire de la remise en cause du comité national d’éthique ? du droit de grève ? du droit d’amendement des parlementaires ?
Et tout cela invariablement au nom du pragmatisme ! Mais le pragmatisme érigé en idéologie, ce n’est rien d’autre que le renoncement aux valeurs.
Monsieur le Préfet que pouvez vous regretter ?
Quelques sifflets à l’adresse d’un nouveau Bonaparte, à l’adresse d’un « troisième en pire », vous auront coûté votre poste. Goethe préférait « une petite injustice à un grand désordre », Nicolas Sarkozy aura préféré une grande injustice à un petit désordre, mais au fond il n’y a que les petits hommes pour craindre les petits cris.
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