samedi 26 janvier 2013

Le salaire des enseignants français à la loupe


Cette semaine, l’article sur le salaire des enseignants a été écrit avec Estelle HERBAUT, une de nos spécialistes à l’OCDE sur ce sujet plus que sensible dans le débat public. D’un point de vue méthodologique, nous comparerons ici le salaire annuel brut des enseignants de l’enseignement public tel que défini par les barèmes officiels (salaire statutaire). Ces données n’incluent donc pas les primes et autres allocations dont ne bénéficient pas tous les enseignants. Enfin, les salaires sont convertis en dollars US (USD) sur la base des taux de parité de pouvoir d’achat (PPA) qui égalisent les pouvoirs d’achat des différentes monnaies.
Diverses caractéristiques du système de rémunération influencent l’attractivité du métier d’enseignant. Parmi elles, les plus importantes sont le niveau général de rémunération (mesuré par les salaires d’entrée dans la profession et par les perspectives d’évolution au cours de la carrière), les différences de rémunération entre les enseignants, le niveau de leur salaire en comparaison avec d’autres professions et l’évolution des salaires dans le temps.
Comment se situe la France sur ces 4 aspects au regard des comparaisons internationales?
  • Niveau général de rémunération : salaire d’entrée dans la profession et perspectives d’évolution au cours de la carrière
La France a un niveau de salaire nettement inferieur à la moyenne des pays de l’OCDE en début et milieu de carrière…
Le niveau de salaire des enseignants en début de carrière par rapport à d’autres professions et sa progression probable jouent un rôle prépondérant dans la décision d’un diplômé de devenir enseignant.
En France, les enseignants débutants et après 15 ans d’exercice sont bien moins rémunérés par rapport à la moyenne des pays de l’OCDE. Ceci est vrai pour tous les niveaux d’enseignement : au niveau du primaire, les salaires sont inférieurs de 15 % environ à la moyenne de l’OCDE et dans le secondaire, l’écart est d’environ 10 %. Il faut toutefois souligner que la réforme des salaires des enseignants en 2011 (non incluse dans cette statistique) a entraîné une légère réduction de cet écart pour le salaire des enseignants débutants.
Au sein de l’OCDE et même entre pays voisins, les salaires des enseignants présentent ainsi des écarts significatifs mettant en évidence des choix politiques divergents qui peuvent avoir un impact sur l’attractivité du métier. Par exemple, les enseignants du primaire avec 15 ans d’exercice reçoivent en Espagne 10 000 USD de plus qu’en France ou en Italie (et 5 000 USD de plus qu’au Portugal). Le même écart s’observe entre le Canada, où le salaire de base est de 54 978 USD, et les États-Unis où il s’établit à 45 226 USD. Enfin, le salaire statutaire des enseignants allemands est supérieur de plus de 10 000 USD à celui des enseignants belges, et de plus de 20 000 USD à celui des enseignants français (voir le graphique 1).

 … mais l’écart avec les autres pays de l’OCDE s’atténue au fur et à mesure que la carrière avance.
Autre différence, le salaire évolue à des rythmes radicalement différents au sein des pays de l’OCDE, mettant en évidence la diversité des choix politiques pour attirer et retenir les enseignants dans ce métier. Ainsi, l’Allemagne, le Danemark et l’Espagne mettent particulièrement l’accent sur les enseignants débutants en offrant des salaires élevés dès l’entrée dans la profession mais une progression moindre au cours de la carrière. À l’inverse, en Corée, au Japon et au Mexique, les enseignants en fin de carrière gagnent au moins deux fois plus que les enseignants débutants.
La France est plutôt dans la seconde catégorie puisque l’évolution du salaire pendant la carrière compte parmi les plus importantes. À niveau de qualification égal, les enseignants à l’échelon maximum gagnaient, en 2010, près de 2 fois plus que les enseignants débutants (contre 1.6 fois en moyenne dans les pays de l’OCDE). La France a donc choisi de mieux rémunérer ses enseignants en fin de carrière. Cependant, 34 années d’ancienneté sont nécessaires pour atteindre l’échelon maximum en France, contre seulement 24 années en moyenne dans les pays de l’OCDE.
  • Différence de rémunération entre enseignants
Les écarts de salaire observés en France entre enseignants du primaire et du secondaire sont dans la moyenne de l’OCDE…
Dans la plupart des pays de l’OCDE, le salaire augmente avec le niveau d’enseignement. Ainsi, en France, les enseignants du lycée avec 15 ans d’exercice gagnent 9 % de plus que ceux du primaire (contre 8 % en moyenne dans les pays de l’OCDE). À titre indicatif, en Belgique et en Pologne, les enseignants du deuxième cycle du secondaire (équivalent du lycée) gagnent environ 30 % de plus que les enseignants du primaire. Seuls l’Australie, la Grèce, l’Irlande, le Portugal, le Royaume-Uni et la Slovénie se distinguent en rémunérant les enseignants de la même façon quel que soit le niveau auquel ils enseignent.
… mais le temps de présence devant les élèves est bien plus élevé pour les enseignants du primaire par rapport à ceux du secondaire.
Si les écarts de salaire de sont pas extrêmement marqués en France, ils sont cependant plus conséquents quand on analyse le temps de présence devant les élèves des enseignants du primaire et du secondaire. En France (ainsi qu’en Grèce, en Israël et en République tchèque), les enseignants donnent au moins 30 % d’heures de cours de plus par an (devant les élèves) dans l’enseignement primaire que dans le premier cycle de l’enseignement secondaire (équivalent du collège). Cela conduit à une différence de rémunération par heure de cours entre ces deux niveaux d’enseignement particulièrement marquée : c’est d’ailleurs en France qu’elle est la plus élevée de l’OCDE puisqu’une heure de cours au collège est rémunérée 50 % de plus qu’une heure de cours dans le primaire.
Plus encore, entre enseignants du secondaire, la rémunération varie significativement en France suivant le niveau de qualification.
L’écart de salaire en fonction du niveau de qualification est aussi particulièrement marqué en France : en fin de carrière, un professeur agrégé gagne 24 % de plus qu’un professeur certifié enseignant au lycée, alors qu’il enseigne moins d’heures devant les élèves qu’un professeur certifié. Seuls le Mexique et la Slovénie (dans le premier cycle du secondaire) présentent un écart plus important.
  • Niveau de salaire des enseignants en comparaison avec d’autres professions
Les enseignants français gagnent beaucoup moins que les actifs occupés diplômés de l’enseignement supérieur.
Qu’en est-il de l’attractivité de la rémunération des enseignants, au regard de la situation sur le marché du travail de chaque pays ? Pour se faire une idée, il est possible de comparer le salaire des enseignants à ceux des actifs occupés diplômés de l’enseignement supérieur. Les enseignants du primaire en France gagnent l’équivalent de 73 %  du salaire des diplômés de l’enseignement supérieur, soit moins que la moyenne de 82 % au sein de l’OCDE, ce qui peut les dissuader de s’orienter vers ce métier si des compensations autres que le salaire ne sont pas proposées.
À titre indicatif, ce salaire relatif est particulièrement bas, par exemple, en Autriche, en Islande et en Italie (moins de 60 %), alors qu’au Canada, en Corée, en Espagne, au Luxembourg et au Portugal, les enseignants du primaire gagnent autant, voire davantage, que les actifs occupés diplômés de l’enseignement supérieur.
  • Évolution du salaire des enseignants sur les 10 dernières années
Compte tenu de la hausse des prix, les salaires statutaires en prix constants ont diminué depuis une dizaine d’année en France.
C’est bien la statistique la plus alarmante pour la  France : le salaire des enseignants avec 15 ans d’exercice a régressé en France entre 2000 et 2010, alors que dans le même temps, il a augmenté dans la plupart des pays de l’OCDE. Les mesures mises en place en 2011 pour augmenter les enseignants débutants n’inverseront pas cette tendance qui est calculée pour les enseignants ayant 15 ans d’exercice. On peut imaginer que ce résultat explique en partie la désaffection observée ces dernières années dans les concours d’entrée dans la profession.

Entre 2000 et 2010, les salaires de base des enseignants français en milieu de carrière ont ainsi diminué d’environ 8 % en prix constants (voir le graphique 2). À l’inverse, sur la même période, les salaires ont augmenté dans la quasi-totalité des autres pays de l’OCDE : pas loin de 20 % d’augmentation en moyenne car de nombreux pays ont décidé d’investir massivement dans le salaire des enseignants pour retenir les meilleurs d’entre eux dans la profession. En dehors de la France, cette tendance à la baisse n’est observée qu’au Japon et en Suisse, deux pays qui offrent cependant toujours des salaires parmi les plus élevés de l’OCDE (ce qui n’est pas le cas de la France).
  • Au-delà des salaires, que faire pour attirer et retenir les enseignants ? 
La désaffection à l’égard du métier d’enseignant est un problème qui touche aujourd’hui un grand nombre de pays de l’OCDE dont la France. Le salaire peut incontestablement jouer un rôle de levier pour attirer les étudiants vers ce métier, encore plus en France où le salaire d’entrée dans la profession peut être décourageant. Cependant, l’augmentation significative des salaires ne suffira pas à régler, à elle seule, toutes les difficultés inhérentes au système français si la formation initiale des enseignants et leur affectation dans les établissements difficiles ne sont pas intégrées dans la réflexion (voir article : http://educationdechiffree.blog.lemonde.fr/2012/12/03/peut-on-exporter-en-france-le-modele-de-formation-des-enseignants-finlandais/).
De nombreuses politiques ont été mises en place ces dernières années dans les pays de l’OCDE pour rendre plus attractif le métier d’enseignant par d’autres biais que l’augmentation des salaires. Parmi ces politiques, citons 3 exemples.
Tout d’abord, le Royaume-Uni qui, pour pallier la désaffection, a mis en place en 2000 un système de bourses destinées à subventionner les études de l’ensemble des futurs enseignants. Ce même pays a également créé une prime de 4 000 GBP (« Golden Hello ») pour l’entrée dans la carrière de tous les jeunes enseignants.
Autre évolution, la Finlande, la Grèce, l’Islande ou encore le Portugal récompensent l’ancienneté dans la carrière par une réduction du volume horaire d’enseignement. Dans ces pays, on remplace les heures d’enseignement par d’autres tâches comme, par exemple, du tutorat pour les jeunes enseignants.
Enfin, et ceci serait sûrement la mesure la moins importable en France au vu du système actuel, de nombreux pays comme les États-Unis, la Suède ou même Singapour (pour quitter l’OCDE) ont des systèmes de rémunération très décentralisés et orientés par des récompenses au mérite. Ainsi, en Suède, le gouvernement fixe le salaire minimum que chaque enseignant devra recevoir et les enseignants négocient directement leur salaire avec le chef d’établissement sur la base de critères d’évaluation prédéfinis.

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