J'ai connu Robert Ménard il y a longtemps, aux débuts de "Reporters sans frontières", quand il défendait les journalistes en difficulté à l'étranger. Ménard n'était pas intellectuel. Fallait-il l'être ? Il agissait avant de réfléchir mais il était utile, chaleureux, opiniâtre. Comme disait à peu près Audiard, un con qui marche va toujours plus loin que deux intellectuels assis. A Sarajevo, il nous avait conduits au chevet d'un journal progressiste, "Oslobodjenje" (« Libération »), qui continuait à paraître sous le feu des snipers serbes, petit sémaphore démocratique au coeur d'une guerre des ethnies. Ménard était, comme toujours, décidé, courageux, imperturbable sous les balles, âme d'un petit complot médiatique et voyageur destiné à aider un journal libre au siège démoli par les obus serbes, étranger aux querelles nationalistes. Contre les dictatures, pour défendre la liberté fragile des journalistes, pour sauver Florence Aubenas, pour rappeler à l'ordre une profession oublieuse, Ménard était précieux.
Le voilà donc lepéniste. Tout est possible en ce bas monde. Il avait commencé chez Trotski, le voilà chez Maurras. Il a créé « Reporters sans frontières ». Il n'aime plus les reporters, trop à gauche, il s'est converti aux frontières, qui doivent arrêter les arabes. A près de soixante ans, il considère, donc, qu'il s'est trompé toute sa vie. Il veut réhabiliter la peine de mort. A-t-il lu Hugo ? Sait-il que les pays où elle est appliquée ne sont pas plus sûrs que les autres ? Veut-il faire marcher la civilisation à reculons ? Il veut défendre les électeurs lepénistes méprisés par l'intelligentsia. Mais ce n'est pas les mépriser que de les contredire. Au contraire, cette démagogie qui consiste à adopter les idées fausses du peuple en croyant le servir est le pire des mépris. Ménard n'en a cure. Il a rompu avec les intellectuels assis. Il marche...
Laurent Joffrin
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