dimanche 3 octobre 2010

Merci Lula

Le président sortant Luiz Inacio Lula da Silva, dit Lula.  (AFP)L'événement politique majeur de ce dimanche, ce sont les élections présidentielles au Brésil, ce grand pays amené à jouer un rôle croissant sur la scène internationale et qui devrait constituer, pour le Nord autant que pour le Sud, une source d'inspiration féconde.


« L'espoir a vaincu la peur » déclarait Lula au soir de sa première élection à la Présidence de la République en 2002. Oui, l'espoir peut l'emporter sur la peur : c'est le cas, au Brésil, depuis huit ans. Cette belle leçon brésilienne est aujourd'hui plus que jamais d'actualité dans un monde où beaucoup s'emploient à attiser et à instrumenter les peurs car ils ne sont capables de porter aucun espoir partageable par tous.


Le Brésil n'est pas seulement le berceau de ces budgets participatifs qui, depuis une vingtaine d'années, essaiment peu à peu sur tous les continents. C'est aussi un pays qui administre la preuve que les performances économiques et les réussites sociales vont de pair à condition que l'Etat pilote, au service et à l'écoute de tous, des politiques publiques volontaristes et efficaces.


La presse internationale dresse aujourd'hui un bilan unanimement élogieux des deux mandats du Président Lula : des finances assainies ; une inflation durablement maîtrisée ; une puissance agricole et industrielle qui place le Brésil au 8ème rang mondial et lui permet de viser le 5ème rang pour bientôt ; une croissance soutenue et fortement créatrice d'emplois ; un impact très réduit de la crise financière de 2008 (du fait notamment de règles prudentielles qui encadrent la finance brésilienne et de politiques contra-cycliques judicieuses de soutien à la consommation populaire) ; un recul spectaculaire de la pauvreté et du chômage ; un essor constant de la classe moyenne (désormais majoritaire) ; un salaire minimum et des retraites fortement revalorisés qui ont tiré la demande et accru les débouchés des entreprises brésiliennes ; un effort massif d'investissements publics ; une démocratisation de l'accès à l'université ; une diplomatie de plus en plus active.


Avec, pour couronner le tout et en dépit des ombres qui subsistent (état de l'école publique, violences, inégalités), un chef de l'Etat qui bat, en fin de mandat, tous les records de popularité (plus de 80% ! de quoi faire pâlir d'envie son homologue français...), un peuple brésilien fier de son président et de l'oeuvre accomplie, confiant dans son avenir, affichant un optimisme fondé sur des résultats concrets et des améliorations tangibles de sa vie quotidienne.


Là-bas, en effet, l'ascenseur social n'est pas en panne. Et l'écrasante majorité des Brésiliens a le sentiment que ses enfants vivront mieux car le bilan des années Lula autorise tous les espoirs.


Le temps est révolu où, comme en 2002, la droite prédisait le chaos si Lula était élu et où l'affolement des marchés financiers conduisait au bord de la banqueroute un pays affligé d'une dette extérieure en perpétuelle augmentation et dont la machine économique était enrayée. Comme aujourd'hui, ces marchés financiers rêvaient d'un gouvernement capable de mettre la main à la poche... des plus pauvres.


Le redressement a été spectaculaire mais cet assainissement nécessaire s'est accompagné d'une politique industrielle de grande ampleur et d'un effort sans précédent de redistribution sociale. Le Président brésilien fit le choix de remettre de l'ordre dans les finances publiques et de restaurer la confiance des marchés, il le fallait, mais en même temps de stimuler la croissance et de combattre énergiquement la pauvreté. Lula l'a souvent répété : la justice sociale n'est jamais le résultat mécanique d'un accroissement de la richesse produite car une croissance mal pilotée peut être pauvre en emplois et accroître les inégalités. La justice sociale est un choix politique qui suppose un fort engagement de l'Etat. C'est aussi un facteur supplémentaire de croissance comme l'a prouvé le programme des Bolsas Familia (Bourses Famille) qui a bénéficié à 13 millions de foyers les plus pauvres.


Cette allocation, dont le versement est subordonné à des conditions de scolarisation et de suivi médical des enfants, a non seulement arraché à l'extrême dénuement un Brésilien sur quatre et permis aux familles qui en étaient exclues d'accéder à une consommation de première nécessité (ce qui a aussi été vécu par elles comme une entrée dans la citoyenneté). Elle a également dynamisé une nouvelle économie de proximité, favorisé la création d'emplois locaux et ouvert un nouveau marché solvable aux entreprises brésiliennes. C'est l'exemple même de ce cercle vertueux économique et social auquel le Brésil doit ses succès d'aujourd'hui.


Le Président Lula s'amuse parfois à rappeler l'avalanche de critiques « expertes » qui s'abattirent sur ce projet lors de son lancement : « assistanat », « dépense insupportable pour les finances publiques », « incitation à la paresse »...

La Bolsa Familia est aujourd'hui unanimement saluée comme une grande réussite sociale et économique. Au point que Jose Serra, principal concurrent de Dilma Rousseff dans l'actuelle élection présidentielle, en est réduit à promettre qu'il n'y touchera pas et même en augmentera le montant.


La justice sociale n'est pas l'ennemie de la performance économique mais l'une des conditions d'une croissance durable : c'est la première leçon qui nous vient du Brésil.


La seconde leçon, c'est la nécessité de restaurer et de renforcer le rôle anticipateur et moteur de l'Etat. Nombre de gouvernements européens et celui de la France en particulier seraient mieux avisés de s'en inspirer plutôt que de céder aux diktats des agences de notation et de s'acheminer ainsi vers un double échec : croissance insuffisante et inégalités en hausse.


Troisième leçon de nos amis brésiliens : la nécessité d'un dialogue permanent avec les citoyens, les mouvements sociaux et les syndicats. A l'opposé, en somme, de ce refus du dialogue social dont l'actuelle « réforme » sarkozyste des retraites porte la marque. Comme nous l'a expliqué Paulo Maldos, conseiller spécial du Président Lula, lors de l'université internationale organisée cette semaine à Poitiers avec Edgar Morin et l'Institut Politique de Civilisation dont la Région Poitou-Charentes est partie prenante, ce dialogue constant a directement influé sur les politiques publiques mises en place au Brésil et leur a permis d'obtenir de meilleurs résultats, à l'écoute des premiers concernés.


Ce 3 octobre, 90 millions d'électeurs brésiliens sont appelés à choisir leur chef de l'Etat mais aussi 531 députés fédéraux, les 2/3 des sénateurs ainsi que les gouverneurs et les députés des 27 Etats de la fédération. L'enjeu n'est donc pas seulement de désigner le successeur de Lula mais aussi d'assurer au Parti des Travailleurs une majorité « pour que le Brésil continue de changer », comme le dit un slogan de campagne de Dilma Rousseff.


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Dilma, activement soutenue par Lula, n'a cessé durant ces derniers mois de creuser l'écart avec son principal concurrent, Jose Serra, candidat du PSDB déjà battu en 2002 par l'actuel Président brésilien. Tout porte à penser qu'elle gagnera haut la main cette élection, que ce soit dès ce dimanche ou lors du second tour prévu le 31 octobre.


Je le souhaite de tout coeur car cette femme courageuse, compétente et déterminée saura, j'en suis sûre, poursuivre et approfondir la métamorphose du Brésil qu'a conduite avec audace et sagesse, volontarisme et pragmatisme, le Président Lula.


Je l'ai rencontrée à l'occasion de mes derniers voyages au Brésil, lors du forum social de Belem en 2009 puis à Brasilia en avril dernier. J'ai été à chaque fois impressionnée par la force qui se dégage de celle qui a fermement piloté le Programme d'Accélération de la Croissance, vaisseau-amiral des gigantesques investissements que réalise le Brésil pour développer et moderniser ses infrastructures économiques et sociales. Après avoir été Ministre de l'Energie, elle occupait auprès de Lula des fonctions équivalant à celles d'un Premier Ministre et coordonnait avec autorité l'action du gouvernement.


Sa vie est émaillée de combats qui témoignent de ses convictions et de sa force de caractère. Jeune étudiante, elle milite dans les rangs d'une organisation d'extrême-gauche contre la dictature issue du coup d'Etat militaire de 1964. Arrêtée en 1970, elle subit 22 jours de tortures et ne parle pas. Elle sera emprisonnée durant trois ans. « Nous étions, dira-t-elle plus tard, naïfs et généreux. Nous voulions changer le monde. J'ai appris depuis l'importance de la démocratie. Mais je suis fière de ne pas avoir changé de camp ».


Quand, en 2009, elle est atteinte d'un cancer du système lymphatique, elle fait le choix de la transparence, plaisante sur la perruque que les conséquences de sa chimiothérapie l'obligent alors à porter, se bat courageusement contre la maladie tout en sillonnant le pays avec Lula.


En discutant avec elle et en l'écoutant intervenir en public, j'ai mesuré pourquoi Lula voyait en elle la Présidente qu'il faut au Brésil. « Je connais ses qualités et je dois en convaincre le peuple brésilien » m'avait-il confié à Belem. Il s'y est employé de manière exemplaire.


Certains auraient aimé que Lula, assuré d'être réélu, brigue un troisième mandat. Mais cela supposait un changement de la Constitution qui interdit plus de deux mandats successifs et le Président brésilien s'y est refusé, à la différence d'autres dirigeants d'Amérique latine et d'ailleurs qui ont cédé à ce qu'on appelle là-bas « la tentation continuiste ».


« L'une des choses qu'un bon gouvernement doit savoir faire, expliquait-il en février dernier, c'est de conduire son successeur à la victoire ».


Après le premier ouvrier élu Président de la République du Brésil, Dilma sera, je l'espère, la première femme à entrer au Planalto comme chef de l'Etat. Que ce soit le 3 ou le 31 octobre, sa victoire sera une bonne nouvelle pour le peuple brésilien et pour tous ceux qui veulent construire un ordre juste à l'échelle planétaire.



Ségolène Royal

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