Jean-Marc Ayrault dans son bureau à Matignon, vendredi. (Eric Dessons/JDD)
Vous êtes au pouvoir depuis dix mois. Vos électeurs doutent, le Président les a-t-il convaincus?
Le Président a rappelé que l'objectif était le redressement du pays. Il l'a fait avec clarté et fermeté. Je sais que les gens doutent, disent : "Ils nous demandent encore des efforts, mais à quoi ça sert?" Mais l'enjeu, c'est d'assurer l'avenir de notre modèle social et républicain. Pour y parvenir il faut le réformer en profondeur et courageusement. C'est ce que fait le gouvernement. Cela exige aussi de poursuivre la réorientation de l'Europe.
S'agissant des retraites, le chef de l'État parle d'augmenter la durée de cotisation. Combien de temps faudra-t-il travailler et jusqu'à quel âge?
L'espérance de vie a considérablement augmenté. On vivra plus longtemps à la retraite que nos parents et grands-parents. Tout le monde le comprend. Mais les régimes de retraite seront en déficit de 20 milliards d'euros en 2020 si nous ne faisons rien. Plusieurs options doivent être débattues. Il y a un préalable : il n'est pas question que les petites retraites soient pénalisées. Et n'oublions jamais que nous avons la chance d'avoir une grande vitalité démographique qui nous assure que nous n'aurons pas, dans trente ou quarante ans, les mêmes difficultés que d'autres pays pour payer les retraites.
Repousserez-vous l'âge légal au-delà de 62 ans?
Nous ne toucherons pas à l'âge légal. Le fil conducteur de nos décisions, c'est la justice. Cette réforme traitera la pénibilité au travail, la complexité des régimes et résoudra les inégalités. Au final, nous paierons les retraites, nous préserverons les plus petites retraites, et nous pérenniserons les régimes de retraite pour les générations à venir.
L’annonce de cette réforme a généré beaucoup d’anxiété. Quand les Français seront-ils fixés?
On crée de l’inquiétude quand on ne règle pas les problèmes. Nous avons une méthode, celle de la concertation. La commission présidée par Yannick Moreau présentera un rapport en juin. Tous les scénarios seront sur la table à l’occasion de la grande conférence sociale qui suivra. Puis les partenaires sociaux en débattront. À l’automne, les choses seront claires pour tout le monde.
Les plus aisés percevront moins d’allocations familiales. À quel niveau de salaire placez-vous la richesse?
Je reçois dans quelques jours le rapport qui nous permettra de décider. Il y a un déficit de cette branche. J’ai fixé sa résorption à 2016. Une chose est sûre, le principe de l’universalité n’est pas remis en cause. Tout le monde continuera à toucher des allocations familiales et elles ne seront pas soumises à l’impôt. Les hauts revenus en percevront moins et les plus fragiles, notamment les familles monoparentales, seront soutenus. J’annoncerai les décisions dans les semaines qui suivent.
Le chef de l’État s’est engagé à ne pas augmenter les impôts l’an prochain, hormis la TVA. Pourtant, le gouvernement a besoin de recettes pour la Sécu et planche sur la fiscalité écologique…
Le crédit d’impôt compétitivité emploi sera notamment financé par la TVA, en 2014, ainsi que le Président l’a rappelé. S’agissant de la fiscalité écologique, elle est discutée dans le cadre du débat national sur la transition énergétique. Ce débat est en cours.
Votre méthode est longue et lente…
Ce qui compte, ce n’est pas la longueur mais l’efficacité pour réussir les réformes. Mardi, commence à l’Assemblée le débat sur le projet de loi sur la sécurisation de l’emploi. Cette réforme du marché du travail n’aurait jamais été possible sans la méthode que nous avons choisie, celle du dialogue social. Personne n’avait réussi à le faire en trente ans. Ceux qui ont voulu y arriver d’en haut, en force, sans négociation, ont échoué.
Qui paiera la taxe à 75% finalement? Les entreprises et pas les artistes, ni les sportifs, ni les professions libérales…
Les rémunérations indécentes sont versées dans les grands groupes. Ce sujet sera intégré dans le projet de loi sur la gouvernance des entreprises et les rémunérations.
Gérard Depardieu peut donc revenir en France?
Il se plaignait déjà de payer trop d’impôts avant…
Le déficit de la France a dérapé à 4,8% du PIB en 2012. Vous n’avez pas tenu l’objectif de 4,5%…
Si nous n’avions rien fait, le déficit aurait été au moins à 5,5% du PIB. Nous avons tenu nos objectifs de dépenses. Il n’y a eu aucun dérapage. La croissance économique ayant été nulle, cela a eu un impact sur les recettes. En outre, nous avons dû recapitaliser la banque Dexia, qui finance les collectivités locales, et notre contribution au budget européen a été aussi plus élevée que prévu. Mais nos efforts de réduction du déficit sont sans précédent.
Le budget de la Défense est préservé pour 2014. Où l’État va-t-il faire des économies?
Tous les ministères participent aux efforts, la Défense aussi. Mais vous n’imaginez pas que nous puissions baisser la garde au moment où la France est engagée au Mali. De plus, les industries de défense sont stratégiques et porteuses de nouvelles technologies et d’emplois. Nous compléterons le budget de la Défense par des recettes extrabudgétaires.
Redoutez-vous qu’un Medef "de combat" succède à celui de Laurence Parisot?
Mme Parisot a joué le jeu de la négociation, je salue son attitude et celle de son équipe. Je souhaite que l’esprit de négociation continue de prévaloir, c’est fondamental pour l’avenir de notre pays.
Le Président veut lever tous les obstacles administratifs qui brident l’activité économique. Mardi, je préside une réunion interministérielle qui comportera un chapitre sur ce sujet. Nous recourrons à l’ordonnance pour simplifier des procédures qui ralentissent la construction de logements. Mi avril, je réunirai un séminaire gouvernemental pour faire le bilan du pacte de compétitivité, au sein duquel seront annoncées des mesures pour les entreprises.
La PMA est-elle enterrée?
Non, nous tiendrons compte de l’avis du Comité consultatif national d’éthique avant de nous prononcer. Il y a une tension qui existe autour du projet de loi sur le mariage pour tous, qui passera au Sénat cette semaine. Il y a de l’inquiétude, certains sont de bonne foi et d’autres essaient d’exploiter politiquement ce sujet.
François Hollande a dit que le non-cumul des mandats s’appliquerait avant la fin de son quinquennat. Qu’est-ce que cela veut dire?
Le projet de loi sera présenté mercredi en Conseil des ministres. Ce qui compte, c’est qu’il soit voté très rapidement par le Parlement. Le Président veut que ce soit appliqué avant la fin du quinquennat.
Donc, sauf s’il y a dissolution, cela s’appliquera en 2017 pour les députés?
[Sourire.] Je suis convaincu que le non-cumul des mandats sera voté, c’est ça, l’essentiel.
Arnaud Montebourg vous a-t-il vraiment dit au moment de Florange : "Tu fais chier la terre entière avec ton aéroport de Notre-Dame-des-Landes dont tout le monde se fout. Tu gères la France comme le conseil municipal de Nantes" (dans Florange, la tragédie de la gauche)*?
Oui.
On peut donc vous parler comme ça et rester votre ministre?
Ce qui compte pour moi, c’est l’action de mon gouvernement pour le redressement du pays, sous l’autorité du chef de l’État. Nous sommes une équipe, nous devons jouer collectif.
Le Président a dit qu’il ne tolérerait plus de couacs. Le prochain fautif sera viré?
Quand on demande des efforts aux Français, on doit avoir un comportement exemplaire. Je sais que les ministres travaillent d’arrachepied au service de l’intérêt général.
On dit que Hollande ou vous-même manquez d’autorité…
Vous avez compris jeudi soir : il n’en est rien.
J’ai été associé étroitement à la préparation de cette émission. Je me sens totalement solidaire et totalement associé à ce qu’il fait. Jeudi soir, les Français attendaient le Président et il a voulu affirmer de manière très forte qu’il était bien à la barre. Nous savons où nous allons. Avec le Président, on marche main dans la main.
Il a dit qu’il n’était "plus un président socialiste". Et vous, vous êtes encore un Premier ministre socialiste?
Oui, je suis un Premier ministre socialiste. J’assume totalement mon identité politique. Je suis aussi un républicain. Et j’agis pour l’intérêt général du pays. Le Président n’a fait que rappeler qu’il était président de tous les Français.
François Fillon a dit sentir "monter une crise de régime"…
La crise de régime, c’est la fin de la IVe République et la guerre d’Algérie. Il ne faut pas se tromper d’analyse ni d’époque. Il y a plutôt une crise de régime à l’UMP qu’en France.
Jean-Luc Mélenchon dit, lui, que l’Élysée s’est enlisé et que ce n’était pas la peine d’élire un "gars de gauche" pour faire ça…
On ne peut pas avancer dans un débat démocratique par l’invective et l’hystérie permanentes, les attaques personnelles et les caricatures. C’est manquer de respect aux Français au moment où nous avons besoin de rassembler toutes les forces du pays pour faire gagner la France.
Hollande a-t-il fait dans cette émission son adieu à la gauche, mot qu’il n’a jamais prononcé?
Non, pas du tout. Il a parlé en tant que président. Moi, je suis chef du gouvernement. J’ai une majorité, socialiste, radicale et écologiste. Cela ne veut pas dire que j’ignore les autres. J’applique la méthode républicaine. Ainsi, comme me l’a demandé le Président, je consulterai les groupes parlementaires sur l’application de la loi sur les signes religieux dans les établissements qui reçoivent des enfants, dans le respect de la laïcité.